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Jan Martens : Faire sauter la danse

De passage au Théâtre des Abbesses avec une troupe d’athlètes chorégraphiques, Jan Martens soumet ses interprètes à une épreuve physique impressionnante. Pas seulement doivent-ils affronter leur propre épuisement et leur sueur, mais en plus leur faut-il suivre une chorégraphie millimétrée et se fondre dans des rythmes collectifs des plus rigoureux.
Sauter pendant une heure... Existe-t-il un vertige vertical ? Une seule pause brève leur est accordée, et au public. Car les spectateurs se transforment en athlètes à leur tour, athlètes de l’attention et de l’empathie. The Dog Days are Over est presque un spectacle participatif. A priori le rythme des sauts, qui ne varie guère au cours de la représentation, devrait engendrer un état d’abandon ou de transe. Mais c’est le contraire qui se produit.

Je saute, donc je suis

Sur le plateau autant que dans la salle, le niveau d’attention est à son comble. Aussi filigranes soient-elles, les variations en matière de direction, de tempo, de vitesse, de force d’appui des frappes, croisées avec des irruptions soudaines de gestes additionnels, ne permettent le moindre relâchement. Dans cette concentration absolue, personne ne peut se permettre des sauter du coq à l’âne.
Ultra-géométrique et précis, les croix blanches quadrillant le sol en témoignent de l’ultime précision spatiale et temporelle. Mais jamais (ou presque), les danseurs-sauteurs ne ressemblent à des automates. Il y aurait pourtant moult manière de robotiser ce septuor en sueur. Mais justement, Martens travaille contre toute tentation de déshumanisation.

Au fur et à mesure, l’épuisement révèle quelque chose de la personnalité de chacun, surtout au finale, quand tous s’alignent face public dans un dernier effort, uniquement comparable aux sprints des coureurs du Tour de France quand ceux-ci mobilisent leurs dernières réserves. L’épuisement total va jusqu’au refus du corps d’obtempérer à la volonté, quand les abandons successifs des uns et des autres laissent apparaître le dernier restant/sautant tel un vainqueur de compétition. Ces efforts effrénés n’ont rien à envier à ceux des athlètes olympiques. Mais sur le plateau, sous les projecteurs de théâtre, la sueur se révèle bien plus que dans un stade ou à la télévision.

Jumping danse contemporaine

The Dog Days Are Over ? Jan Martens lance les journées kangourou ! Mais il n’est pas seul à introduire un Jump Style en danse contemporaine. La danse Jump Style qui se propage par internet et est une affaire d’adolescents, tout comme dans Les Sisyphes de Julie Nioche, où des jeunes citoyens sont invités à dire qui ils sont, en sautant sur place. Jan Martens, lui, cite le photographe américain David Halsberg qui sait pourquoi ça fonctionne : « Demande à quelqu’un de sauter et tu verras son vrai visage. » A la fin du parcours, la fatigue physique et mentale a raison de toute velléité de représentation.

Sauter en groupe joue sur la discipline et la rigueur. Sauter à deux peut se révéler être un exercice burlesque. Le duo Igor and Moreno, autant chanteurs traditionnels (sarde et basque) le signalent dès le titre d’Idiot-Syncrasy, essai chorégraphique délirant, donné de bout en bout en sautant. C’est en sautant qu’ils sortent une bouteille de whisky, s’en servent mutuellement, en boivent et en distribuent aux spectateurs, toujours en sautant, même si à la lecture on peut en douter. Mais comme le dit Halsberg, la vérité est dans le saut ! Idiot-Syncrasy est en plus ponctué de chants ainsi que de rapprochements avec le vocabulaire de la danse traditionnelle. Et c’est drôle de bout en bout.


La vague sautante s’inscrit dans l’intérêt croissant pour les structures cinétiques répétitives. Alessandro Schiarroni avait fait irruption dans le paysage chorégraphique avec Folk-S où il déconstruit la danse folklorique des Alpes, elle-même basée sur le saut. Et il y a là un lien direct vers le minimalisme spirituel des sœurs Belaza, vers Myriam Gourfink, vers Révolution d’Olivier Dubois ou Aerobics! de Paula Rosolen. Et ça va plus loin encore.

La fatigue pour les pieds, les articulations et les muscles est telle qu’après le spectacle, les danseurs passent par de longs traitements spéciaux. Quand dans la séquence finale de The Dog Days are Over, tous se tapent sur les cuisses, on voit chez ceux qui portent des shorts que la peau s’enflamme, rappelant certaines expériences chez Dave Saint-Pierre, voire la séance de gifles entre Marina Abramovic et Ulay en 1977 dans Light/Dark.

Thomas Hahn

The Dog Days are Over
chorégraphie : Jan Martens
lumières : Jan Fedinger
dramaturgie : Renée Copraij
avec : Piet Defrancq, Steven Michel, Julien Josse, Nelle Hens, Laura Vanborm, Cherish Menzo, Kimmy Ligtvoet, Naomi Gibson et/ou Ilse Ghekiere et Victor Dumont.

Théâtre des Abbesses
Du 26 au 30 janvier 2016
http://www.theatredelaville-paris.com/spectacle-janmartensthedogdaysareover-976
 

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