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Interview de Lia Rodrigues : « Le Brésil connaît un génocide! »

Lia Rodrigues présente à Chaillot-Théâtre national de la Danse sa nouvelle création, Fúria. Nous l’avons rencontrée pour évoquer la situation au Brésil, suite à l’élection de Jair Bolsonaro comme prochain président du pays. Entretien.

Danser Canal Historique : En ce moment, l’Europe et ses média sont tellement occupés par les problèmes d’ici que nous ne sommes plus informés sur la situation au Brésil, pourtant en plein bouleversement depuis les élections présidentielles. Cela nous amène à nous inquiéter pour la situation dans la favela du Maré, où vous avez ouvert votre école de danse. 

Lia Rodrigues : La situation dans la favela a toujours été terrible. En quelque sorte, il n’y rien de nouveau. Les favelas brésiliennes souffrent du manque de dispositifs efficaces pour venir à bout des inégalités. La favela du Maré où nous sommes implantés est depuis longtemps occupée par l’armée. Cette année, ils ont même tiré sur les gens depuis un hélicoptère. Ils ont tué un garçon qui était en train de se rendre à l’école, avec ses cahiers sous le bras. Certes, la situation va encore empirer. Mais elle est déjà tellement difficile.

DCH : Comment se présente la situation pour votre compagnie et votre école dans la favela du Maré ?

Lia Rodrigues : Concernant ma compagnie et mon école, je suis très privilégiée puisque je bénéficie du soutien de la fondation Hermès qui a soutenu le projet de l’école depuis le début. L’école pourra donc continuer. Il y a aussi notre partenaire, Redes da Maré, un organisme qui soutient notre centre d’art et travaille en faveur de la sécurité sociale et d’un dialogue entre la police et les habitants et dans lequel notre centre n’existerait pas. Mais ce n’est pas suffisant. Pour la police et la majorité des politiciens et de la population, la favela est juste une cible.

DCH : Qu’attendez-vous de la présidence de Bolsonaro ?

Lia Rodrigues : Jair Bolsonaro sera au pouvoir à partir de janvier 2019. Mais il annonce déjà des mesures qui sont absolument terribles pour le Brésil. On ne pourrait rien imaginer rien de pire, ni pour l’écologie, ni pour les noirs, les Indiens, les femmes ou les plus pauvres. C’est le principe même de la dignité humaine qui est nié ! Quand on lit ce qu’il s’apprête à faire et qui seront les ministres de son gouvernement, le constat s’impose. Avec le discours de violence et de haine de Bolsonaro, les gens se sentent libres de laisser sortir leurs pulsions les plus néfastes. Il soutient le droit de n’importe qui à détenir une arme à feu.

DCH : Etes-vous en mesure d’avancer des raisons possible qui pourraient expliquer les raisons de la victoire de Bolsonaro aux élections présidentielles ?

Lia Rodrigues : Je ne suis pas la meilleure personne pour l’expliquer. C’est dû à toute une série de facteurs. Mais il n’a pas été élu par une majorité de la population! Le Brésil compte 147 millions d’électeurs. Sur ce chiffre, Bolsonaro a obtenu 57 millions de voix. Mais 21% des droits de vote appartiennent à des jeunes qui ne sont pas allés voter. S’y ajoute 1% de votes blancs! Parmi les facteurs qui ont mené Bolsonaro à la victoire, on trouve aussi le fait qu’il est très proche de l’église évangélique qui est très moraliste et a fortement influencé le résultat en sa faveur. Beaucoup de gens ont ainsi voté contre leurs propres intérêts. 

DCH : Que signifient les bouleversements au Brésil pour votre compagnie ?

Lia Rodrigues : Ma compagnie a déjà perdu tout soutien de l’état suite au coup d’état qui a mis le président Temer au pouvoir en 2016. Depuis deux ans, il n’y a plus aucun soutien pour le spectacle vivant au Brésil! Les artistes sont obligés de se débrouiller pour survivre. Quant à ma compagnie, c’est l’aide de nos coproducteurs en Europe, notamment en France et en Allemagne, qui nous a aidé à réaliser nos créations en 2016 et aujourd’hui, Fúria qui s’est faite avec zéro argent brésilien. Je suis très privilégiée par rapport aux autres artistes brésiliens.

DCH : Vous avez créé une série de pièces qui parlent de la situation des Amérindiens, du racisme et de la destruction de la nature. Tout ça risque d’empirer, alors que votre nouvelle création s’intitule justement  Fúria. Aujourd’hui cette pièce doit donc être portée par une fureur encore plus grande ?

Lia Rodrigues : Je crois que cette fureur-là est déjà sortie. Aujourd’hui j’ai le sentiment que la fureur que nous ressentons dans la vie, en vue de ce que le nouveau gouvernement prépare pour le Brésil, est encore plus grande que celle que nous éprouvons sur scène. Dans la pièce il ne s’agit pas de parler de quelque chose, mais à travers quelque chose. Les danseurs vivent dans la favela du Maré. Toutes leurs préoccupations et tous leurs rêves s’expriment dans ce travail. Nous avons beaucoup travaillé à partir d’images qu’ils ont recueillies sur internet: Des images pleines de beauté mais aussi de violence et de transformation. Nous avons ensuite travaillé ensemble pour articuler et faire vivre ces images sur scène. Nous avons aussi utilisé beaucoup les écrits d’une autrice brésilienne, Conceição Evaristo. Cette écrivaine est afro-brésilienne et aborde des questions concernant la société brésilienne et le racisme. Car le racisme au Brésil est énorme. Comme la plupart des danseurs sont noirs, c’est un sujet qui les touche beaucoup dans la vie quotidienne.

DCH : On pourrait penser que dans un pays qui s’est construit avec tellement de gens de partout, le racisme ne devrait être le moindre des problèmes.

Lia Rodrigues : Mais c’est le pays le plus raciste au monde! Le Brésil a été le dernier pays à abandonner l’esclavage et aucune mesure n’y a jamais été prise pour lutter contre le racisme. Aujourd’hui, un jeune noir est assassiné au Brésil toutes les vingt minutes, alors que la grande majorité de la population est noire. C’est un génocide! Le pays a besoin d’une prise de conscience par rapport à cette violence pour pouvoir l’endiguer.

DCH : Quels sont vos projets au-delà de Fúria ?

Lia Rodrigues : En 2020, ma compagnie fêtera ses trente ans d’existence. Nous voulons bien sûr fêter ça et sommes en train de réfléchir à reprendre des pièces du répertoire de la compagnie. J’espère que ma compagnie sera encore vivante, mais pas seulement elle. Je voudrais fêter cet anniversaire avec d’autres chorégraphe et artistes d’autres disciplines. Le Brésil regorge de talents et d’excellents artistes.

Propos recueillis par Thomas Hahn

Fúria

A Chaillot-Théâtre National de la Danse jusqu’au 7 décembre - 19h45

Centquatre-Paris du 12 au 15  décembre 2018.

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