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« I Wish I Could Speak in Technicolor » de Simon Tanguy, Roger Salva Reyner et Fanni Futterknecht

Scénographie et chorégraphie intégralement mêlées ouvrent sur un univers très heureux, où l'enfance le dispute aux bouffées hallucinatoires.

Quelle mouche a donc piqué Simon Tanguy ? On n'a jamais trouvé ce chorégraphe spécialement ennuyeux. N'empêche. On le rangeait plutôt sur un versant conceptuel, assez sérieux. Or voici qu'il réalise, avec I Wish I Could Speak in Technicolor une pièce délirante, parfois burlesque, drôle et fraîche. C'est idiot, mais on aimerait la qualifier d'estivale, à un moment où les festivals parisiens nous inspirent de nous enfermer dans des salles obscures, pour des spectacles souvent empreints de gravité – ce qui n'enlève rien à leurs éminentes qualités par ailleurs.

En fait Simon Tanguy co-signe en trio cette pièce, avec d'une part un autre artiste chorégraphique, Roger Sala Reyner qui l'accompagne également sur scène ; et d'autre part une plasticienne, Fanni Futterknecht. Concernant pareille "plasticienne", il n'est pas vain de mentionner qu'elle a suivi la formation Essai du CNDC d'Angers (époque Emmanuelle Huynh), qui s'attachait à des projets d'artistes transdisciplinaires ancrés dans le chorégraphique et la performance.

I Wish ... donne d'emblée le ton. La pièce démarre sur des quintes de rire, des fous-rires, qui n'en finissent plus. Peut-être un peu trop. Dans l'ensemble, c'est surtout un problème de dosages, d'enchaînements et de fluidité qu'on versera au mince débit de ce travail. Ce sont autant d'imperfections qui, en règle générale, se corrigent vite, par le seul fait de jouer quelques fois devant un public. Dans le cadres des Rencontres de Seine Saint-Denis on voyait cette pièce au stade de la première.

On évoquait ci-dessus les compétences chorégraphiques de l'auteure de la scénographie. C'est essentiel. Le plateau est tout encombré de formes de mousses, de toile, de carton, dont les volumes nets et les couleurs psychédéliques renvoient à un univers insouciant des années 60 et 70. N'en faisons pas mystère, le titre est lui-même une citation d'un cobaye humain que des militaires américains avaient soumis à l'absorption de pastilles de LSD.

La suite de la pièce est telle qu'il est à se demander si le trio d'artistes n'aurait pas intérêt à prendre l'attache de quelque avocat, tant leur œuvre pourrait être suspectée d'exposition favorable des effets de l'usage de produits stupéfiants hallucinogènes. On l'écrit en souriant. Mais enfin, on trouve terriblement attirant ce monde qui se propose de s'exprimer en technicolor sur le plateau. On n'y lésine pas sur le recours vestimentaire au lamé-paillettes. On s'y exprime dans une langue néologique, à base de grandes rasades d'onomatopées et autres borborygmes.

On s'y consacre à des actions purement gratuites, joueuses, loufoques. Mais il ne faut pas s'y tromper : la gestuelle est vive, mais également fine, qui travaille les dédoublements, les échos en miroir, les penchés taquinant le déséquilibre, les gestes qui ouvrent, en désignant des lignes d'échappée. C'est comme si le corps entier s'animait de clins d'oeils, de sourires, de cloche-pieds.

Aurait-on l'esprit mal placé ? Le fait est qu'en tous ces jeux, on a cru déceler aussi, par ci par là, quelques mains baladeuses et lèvres câlines.

Car enfin, I Wish exprime toute une confiance gourmande dans une fusion jubilatoire avec le monde, dont les objets environnants, au lieu d'encombrer, révèlent eux-mêmes des qualités de mobilité, de souplesse, de déplacements, qui en font autant de complices épatants. On y songe à cette insurrection de la sensualité que souleva le mouvement hippie, et dont la techno-house reprit le flambeau, il n'y a pas si longtemps.

Or voilà bien la question. Au premier coup d'oeil, c'est un duo de lutins émoustillés qui s'agite gaillardement, un brin clownesque, sur cette scène. Il fait aussi penser à l'enfance. Il n'en manque d'ailleurs pas dans la salle, en partie garnie de bambins amenés par autobus. Or on n'est plus soi-même enfant. Ne nous mentons pas : on ne le redeviendra jamais. C'est un tout autre état, intermédiaire, en devenir, qui émane d'I Wish I Could Speak in Technicolor. La pièce est riche, savante et référencée. Très nourrie. Fût-il heureux, c'est un trouble avant toute chose que distille cette pièce, vers une enfance qui n'aurait pas rien à discuter des puissances de jouissance.

Et l'on est ravi que ce soit à travers corps, que ce soit outre le flou des corps, qu'un tel état s'entrouvre. L'enfance n'est pas question simple. Elle est de l'ordre des liens. Qui appellent.

 Gérard Mayen

Spectacle vu le samedi 10 juin 2017 au Théâtre de la Commune, Aubervilliers, dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint-Denis.

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