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Hommages à Nijinsky

Décidément, les Ballets russes sont à la mode en cet automne 2016. En l’espace d’une semaine, il était possible de voir l’Hommage au Ballets russes programmés à la Philarmonie de Paris, et Les Ballets russes : une révolution permanente à l’auditorium de la Fondation Louis Vuitton.

À la Philarmonie, le point de vue était d’abord historique. D’ailleurs, François-Xavier Roth, qui dirigeait l’orchestre Les Siècles, a recréé pour l’occasion l’orchestre des Ballets russes choisi par Diaghilev, arborant des instruments joués au début du XXe siècle avec une véritable réflexion sur l’interprétation pour redonner leur couleur originale aux œuvres de Claude Debussy (Prélude à l’Après-midi d’un Faune et Jeux) et d’Igor Stravinsky (Le Sacre du printemps).

De ce point de vue orchestral, la représentation dans la grande salle de la Philarmonie était exceptionnelle, tant du point de vue du son que de l’interprétation ou de la dynamique des ensembles. Mais, le seul bémol, pour rester dans un registre musical, était la place accordée à la danse. Reléguée derrière l’orchestre, bien loin des premiers spectateurs, il fallait un vrai travail d’imagination pour percevoir la finesse des reconstructions de Dominique Brun.

Il s’agissait donc de trois des quatre œuvres chorégraphiées par Vaslav Nijinski L’Après-midi d’un Faune (1912), Jeux (1913) et Le Sacre du printemps (1913) qui se révélèrent être les icônes de la modernité du XXe siècle grâce à leur radicalité sans égale : rejet de la virtuosité, invention de postures, mise en jeu de l’immobilité. Incomprises du public de l’époque, deux d’entre elles firent scandale, la troisième (Jeux) se heurta à de l’incompréhension.

"L'Après-midi d’un Faune" - Galerie photo © Laurent Philippe

Pour le travail de réactivation et d’interprétation de la danse de Nijinski, Dominique Brun s’est appuyée sur la partition chorégraphique écrite par Nijinski pour L’Après-midi d’un Faune, sur des annotations, des photographies, des dessins, des critiques de presse pour Le Sacre, et sur des pastels dessinés par Valentine Hugo en 1913 pour Jeux.

Dans la disposition mentionnée plus haut, il était, hélas, presque impossible de distinguer le visage du Faune campé par François Alu. Du coup, seules les intentions chorégraphiques de l’interprétation de la partition étaient lisibles. De ce fait, la danse paraissait d’autant plus ténue, tout en angles, en poses, en attentes que dans les versions auxquelles on est habitué. L’absence totale de décor ajoutait encore au dépouillement chorégraphique où seul le geste, quasiment isolé dans son déroulement, laissait entrevoir tout le travail conceptuel de Nijinski.

Galerie photo © Laurent Philippe

Pour Jeux, dont toute l’action est censée se dérouler dans un parc nocturne, le spectateur n’était pas plus gâté. Certes, le fait d’avoir à deviner les chassés-croisés de ces deux trios dont les jeux n’ont rien d’innocent est inscrit dans l’œuvre elle-même. Mais, là encore, on a regretté de ne pouvoir apprécier les nuances que l’on soupçonne dans cette recréation.

Les idées de Dominique Brun d’avoir doublé le trio initial, d’avoir fait porter indistinctement des habits d’homme ou de femme à chacun des interprètes, à donner au ballet un rythme plutôt rapide qui joue sur la disparition, témoignent d’une grande compréhension de l’œuvre de Nijinski. D’autant que l’on sait qu’il voulait au départ construire un trio d’hommes – dont l’homosexualité affichée aurait trop choquée son époque. Mais quel dommage que l’on n’ait pu voir tout cela dans l’écrin d’une boîte noire.

"Le sacre du printemps" - Galerie photo © Laurent Philippe

Finalement, la seule pièce à se tirer de ce mauvais pas sans trop de dommages était, bien sûr, Le Sacre du printemps, plus éclairé, avec des costumes plus colorés, et un nombre de danseurs plus important, qui permettait enfin au public d’accéder à cette belle recréation sans se fatiguer (trop) les yeux !

À la Fondation Louis Vuitton, la surprise était inverse. En entrant dans la petite salle, toute blanche, de l’auditorium, on pensait que les propositions signées par nos consœur et confrère Ariane Bavelier et Philippe Noisette, directeurs artistiques du programme danse, n’allaient pas pouvoir déployer toutes leurs potentialités. Ce ne fut pas le cas.

Intelligemment conçu, le programme se composait de textes de Serge Lifar et Jean Cocteau lus en voix off, d’une projection d’images réalisées par Christian Comte qui redonnait un peu de vie aux ballets de Nijinski (qui n’ont jamais été filmés), ainsi que de deux solos de Lil Buck, petit génie du hip hop américain et de deux duos signés Sidi Larbi Cherkaoui, tous étant inspirés par les Ballets russes.

Contrairement au spectacle de La Philarmonie, la présence de musiciens sur le (petit) plateau était habilement ménagée. La création de Lil Buck sur Trois mouvements de Petrouchka sur la partition pour piano de Stravinsky jouée par Théo Fouchenneret (un vrai défi pour le pianiste !) était remarquable. À partir de la chorégraphie initiale de Fokine, Lil Buck a su isoler le langage du rôle de Nijinski pour le renouveler en incluant des tournures hip hop. Efficace, virtuose et touchant, ce solo est un vrai travail d’orfèvre.

Galerie photo © Fondation Louis Vuitton/Marc Domage

Le duo Faun, dansé par Daisy Phillips et James O’Hara, n’a plus grand chose à voir avec Nijinski. Par contre, on retrouve dans ces corps un peu bruts, dans ces mouvements très organiques, d’une fluidité toute animale, rappellent quelques réminiscences de certaines toiles de l’exposition Chtchoukine et du traitement pictural des corps au début du XXe siècle. Une sensualité proche de quelques Gauguin, une indéfinition volontaire des contours qui marque nombre d’artistes, une ellipse de l’anatomie qui touche tout autant un Tatline qu’un Picasso…

Le Cygne de Lil Buck, (d’après La Mort du cygne de Saint-Saens et Fokine) est tout aussi époustouflant que le premier, même si le thème et sa réutilisation sont plus attendus aussi. Henri Demarquette et son violoncelle accompagnant à merveille ce morceau d’anthologie.

Enfin, le duo de L’Oiseau de feu de Sidi Larbi Cherkaoui dansé par Marie-Agnès Gillot et Friedmann Vogel malgré la qualité exceptionnelle des deux étoiles, et un pas de deux tout en portés et spirales très séduisant, manquait néanmoins un peu de propos… Mais la danse restait très belle.

Agnès Izrine

Le 22 octobre 2016, Hommage à Nijinski, Philarmonie de Paris

Le 29 octobre 2016, Les Ballets russes, une révolution permanente, Auditorium de la Fondation Louis Vuitton

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