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« Forces » de Leslie Mannès, Thomas Turine & Vincent Lemaître

Le Théâtre de Vanves a présenté en première française la nouvelle chorégraphie de Leslie Mannès en collaboration avec le compositeur Thomas Turine et le lumiériste Vincent Lemaître. Pour un problème de cervicales, la chorégraphe n’était pas sur scène, comme annoncé, substituée par l’excellente danseuse Lila Magnin, les talentueuses Daniel Barkan et Mercedes Dassy, présentes aux Brigittines lors de la création, complétant la distribution.

La pièce est triadique, comme le ballet du même nom. Elle emprunte à Schlemmer son élémentarisme, on ne disait pas encore minimalisme à l’époque du Bauhaus. Par sa structure, elle peut paraître simple comme bonjour. Mais une idée, aussi basique soit-elle, à la différence d’un fantasme, n’a de valeur que réalisée, ainsi que le rappelle Bernard Rémy en se référant à Pierre Boulez. À propos de musique, il convient d’observer que la B.O. électro-acoustique de Turine s’impose d’entrée par son efficacité. Elle est faite de battements cardiaques, d’abord en sourdine et marqués à coups de massue ; elle exploite ensuite des effets bruitistes, au sens où l’entendait Luigi Russolo : frottements, raclements et autres crissements. Les ambiances lumineuses colorées lemaîtriennes évoluent graduellement d’une pénombre propice à l’étrange à des teintes verdâtres connotées gothique et, dans le dernier tableau, au réchauffement climatique via des gélatines vermeille.

La pièce est en deux parties distinctes, se fondant progressivement de l’une à l’autre, au moyen du « son et lumière » mais aussi, naturellement, de l’écriture chorégraphique. Sa répétitivité inaugurale, exprimée par des mouvements machinaux, robotiques, façon Jump ou gym tonique, mettent à l’épreuve la résistance cardiaque des trois danseuses et/ou les nerfs des spectateurs. L’aspect lancinant, pour ne pas dire hypnotique tient en haleine la salle qui, à nul moment, n’ose manifester d’impatience. À propos d’impatience, il est possible de penser au moyen métrage d’avant-garde usant de ce titre, signé Charles Dekeukeleire, un film muet de 1928 qui fut sonorisé bien plus tard, qui mont(r)e en alternance quatre « personnages » ou quatre sortes de séquences : la montagne, la moto, la femme, des blocs abstraits. Cet opus, comme la première partie de Forces, relève du « ballet mécanique » cher à Dudley Murphy, Fernand Léger et George Antheil. La femme y est valorisée, sous forme de trio d’amazones dans la pièce et d’idéal féminin futuriste dans le film – celui de la femme à la moto, sans aigle sur le dos.

Si le visuel (= le geste) joue un rôle décisif, c’est la musique qui mène la danse. Elle sert à exposer le thème – les deux thèmes, devrait-on dire – et enfonce le clou du spectacle. Sa structure en canon, en crescendo, son ajout d’instruments, d’altérations et de pistes sonores détermine, dirait-on, le déroulé de la pièce – la conduite, dans tous les sens du terme, des protagonistes. Tandis que s’enrichit la B.O, on assiste, au contraire, au dénuement (partiel, qu’on se rassure !) des danseuses. Les chaperons blancs en blouse à capuche de laborantines ou de techniciennes de centrale nucléaire se livrent à une amorce de striptease, exhibent gambettes et bras musclés, esquissent des gestes de séduction – voire plus, si affinités. Ou s’agit-il de sacrifice au dieu Pan ? Toujours est-il qu’elles donnent l’impression de s’offrir symboliquement, explicitement, au public, caresses onanistes à l’appui. La danse dès lors, n’a plus ni contrôle ni contrainte. Dans des bonds qui défont l’ordonnancement, nos triplées se libèrent totalement, refont l’histoire à l’envers, passent de l’apollinien néoplasticien au dionysiaque bruegélien. Et des temps « modernes » à un âge d’or ensauvagé. 

Nicolas Villodre

Vu le 10 juillet 2010 au Théâtre de Vanves, dans le cadre d’Artdanthé.

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