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Festival Faits d’Hiver : l’édition 2016

En atteignant l’âge de la maturité, Faits d’Hiver peut largement revendiquer le statut de fait majeur. La preuve par les sept lieux où le festival se déploie au cours de ces quatre semaines, florilège des fiefs de l’art chorégraphique à Paname, du Théâtre de la Bastille à celui  de la Cité Internationale, du Tarmac à l’Atelier Carolyn Carlson.

La preuve par les artistes où l’on retrouve certaines identités  fortes et très confirmées, de Daniel Léveillé à Kataline Patkaï, de Fattoumi/Lamoureux à Daniel Dobbels. Si Christophe Martin parle d’une « échelle des maturités », c’est qu’on trouve aussi, parmi les auteurs des dix créations (sur un total de treize propositions scéniques), des esprits libres et en mutation permanente, comme Arthur Pérole, Nans Martin ou (La) Horde.

La preuve aussi par le fil rouge de cette programmation, où la danse met en lumière le questionnement principal de l’homme, à savoir la relation à l’autre et le rapport à soi-même. Car c’est à la croisée de la réflexion et du ressenti que la danse interroge et renseigne le spectateur, autant que l’artiste lui-même.

Regards

De thématiques centrées sur l’identité sexuée, le festival glisse lentement vers des regards sur la culture de groupe, les rapports entre générations ou encore sur le handicap, voire sur l’échange interrogé en tant que phénomène physique, et finalement cette altérité qui en constitue le volet le plus mystérieux : la recherche de soi.

L’ouverture se fait  au Tarmac avec Héla Fattoumi et Eric Lamoureux qui amènent Masculines, pièce coup-de-poing pour sept danseuses qui reprennent à leur compte – pour mieux les démonter – les stéréotypes et fantasmes du regard masculin sur la femme, tels qu’ils s’expriment à travers l’histoire de la peinture ou dans les relations orient-occident. Mais nous ne serions pas chez Fattoumi/Lamoureux si les interprètes ne s’appropriaient pas leurs corps, leur environnement, leur statut et leurs désirs. Masculines est une pièce où convergent les préoccupations dominantes du couple directeur du CCN de Belfort.

On passe à un quatuor, avec Scarlett d’Arthur Pérole. Mais la question reste la même si on la regarde ici sous un rayon plus harmonieux: Comment la femme inspire-t-elle l’homme ? Cette première de dix créations programmées à Faits d’Hiver 2016 aborde directement l’idée de la muse et de la fabrication de son image, jusque dans la perception de celle-ci. Mais le chorégraphe entend aussi donner sa vision du rôle que joue l’interprète dans le processus de création.

Le regard sur la femme peut s’exprimer à travers un orchestre symphonique. Daniel Dobbels met deux danseuses à l’épreuve de deux œuvres de Stravinsky. Marine Chesnais affrontera L’Oiseau de feu dans L’Effroi et Carole Quettier, également soliste, assumera le Sacre dans L’Autre éveil. Le chorégraphe voudrait l’amener vers un « éveil hors des temps, des rythmes... » Il faudra s’arracher à la partition: « Un sacrifice ne pourrait prendre corps », écrit Dobbels. Le défi n’est pas moindre face à L’Oiseau de feu, où « une flamme brûle obscurément chaque note vivante » ce qui fait qu’il faut trouver un « corps de lucidité conjurant l’acidité de temps ». Outre la puissance sacrale de Stravinsky, les interprètes ont à composer avec la pensée du chorégraphe  qui s’interroge : « qu’est-ce qu’un corps, dans sa solitude et les forces qui lui reviennent, peut en soutenir et en traduire sans en être d’entrée de jeu dévasté ou noyé ? » La réponse sera dans la syntaxe chorégraphique...

Rencontres

Les choses vont ensuite s’apaiser, grâce à Daniel Léveillé. Le Québécois guérit les déchirures en abordant le couple dans un état de fusion. Celle-ci est certes à reconquérir incessamment, mais on n’est plus dans des scénarios d’affrontement. Dans les duos « féminins, masculins ou mixtes » façon Léveillé, il sera question de « pudeur, passion, indifférence, affection et gourmandise », bref : de rencontre, de lien qui « se lit dans les regards, les tensions de la chair, la qualité du contact ». Pas de sacralité dans la musique non plus, mais l’optimisme du baroque et de la pop des 1970’s.

Avec Nans Martin, on passe à une idée plus neutre de duo,  autour de l’individualité dans son rapport à une culture de groupe. Sa création Parcelles sera composée de trois duos distincts qui interrogent la singularité de chaque interprète, à partir d’un questionnement à la fois plus abstrait et plus centré sur le geste dans tout contexte social.

Le geste et le regard dans un processus de rencontre et d’échange est également au centre de Relative Collider du binôme Liz Santoro / Pierre Godard. Santoro est Américaine, a étudié les neurosciences et obtenu une licence en biologie et en psychologie. L’approche chorégraphique est donc toute autre, plus abstraite voire post-cunnighamienne, traitant les corps mis en jeu tels des « atomes soumis à différents champs de forces, recombinés en molécules qui précipitent ou se dissolvent sous le regard du spectateur. » Pierre Godard, titulaire d’un master en Traitement Automatique du Langage Naturel, signe le texte de cette pièce. Si collision il y a, elle est donc relative, au sens d’Einstein.

Altérités

Le collectif (La) Horde se penche, dans sa création pour Faits d’Hiver, sur le vivre-ensemble entre personnes « valides » et « handicapées » et invite sur le plateau des non-voyants, « parfois accompagnés de leurs chien guide au plateau ».

Maxence Rey propose Le Moulin des Tentations pour cinq interprètes: « Que se passe-t-il quand nos  démons et monstres intérieurs affluent et se mettent à danser ? »  Le but: « un joyeux jeu de formes et délires », dans la rencontre avec soi-même et les surprises qu’elle nous réserve : Je est un autre, et cet « autre » peut nous paraître drôlement étranger.

Kataline Patkaï ne cesse d’interroger la féminité, ici à travers « un amour absolu, infini entre une mère et son enfant ». Si Kaori Ito ou autres invitent leurs pères sur le plateau, Patkaï  vient avec son fils, Ernesto.  HS (tel est le titre de ce duo intergénérationnel) part d’un texte dans lequel Patkaï  dresse un scénario où le sort de l’humanité est entre les mains des enfants puisqu’ « une catastrophe a anéanti tous les adultes. » Comment évolue le rapport à l’autre, quand cet autre disparaît ?

Images

En fin de parcours, quelques diversions autour de l’image, déclinées en photo, vidéo ou peinture. Camille Mutel crée Go go go said the bird (human kind cannot bear very much reality) autour des photographies urbaines d’Osamu Kanemura. Geisha Fontaine travaille avec le réalisateur Pierre Cottreau pour Millibar, une ritournelle chorégraphique,  histoire de faire voyager une même séquence de danse autour du globe. Depuis dix-huit ans, donc aussi longtemps que Faits d’Hiver existe, l’artiste visuel filme la chorégraphe dans le même solo, au Caire, à Tokyo, Valparaiso, Shanghai, Madras... S’agit-il d’une façon d’arracher la danse à sa condition éphémère, de la poser en étoile fixe alors que le monde tourne autour d’elle ? Peut-être. Mais il y aura une réponse aux images tournées en Super 8, dansée sur le plateau.

Danser la peinture  - pour une contre-histoire dansée de l’art (1): Le livre qui vient de paraître sous ce titre réunit les textes de notre confrère Philippe Verrièle et les photos de Laurent Paillier, montrant l’action d’onze chorégraphes-interprètes réagissant aux univers de onze peintres ou plasticiens marquants du XXème siècle.

L’exposition de Faits d’Hiver montre les photos issues du livre où Anne Nguyen, Kaori  Ito, Mélanie Perrier, Tatiana Julien, Maria Jesus Sevari, Erika di Crescenzo, Malika Djardi, Éric Arnal Butschy et Arthur Pérole explorent les liens possibles  entre les œuvres d’artistes peintres ou plasticiens avec la création chorégraphique. La peinture n’est ici pas un sujet pour artistes chorégraphiques en recherche d’inspiration. Au contraire, ils n’ont rien demandé mais  accepté une proposition et sont allés sur un terrain potentiellement miné, sans toutefois se placer dans une démarche de création. Le livre et ses photos rendent compte de cette liberté d’expérimenter, qui favorise une convergence inédite entre beaux-arts, arts du corps et art photographique.

Thomas Hahn

Festival Faits d’Hiver, du 13 janvier au 11 févier 2016

www.faitsdhiver.com

  1. Danser la peinture, Nouvelles Editions Scala, novembre 2015.

 

Perrine Valli / Vassily Kandinsky
Arthur Perole / Constantin Brancusi
Tatiana Julien / Ernst Ludwig Kirchner
Maria Jesus Sevari / Lucio Fontana
Leila Gaudin / Louise Bourgeois
Malika Djardi / Jackson Pollock
Erika Di Crescenzo / Jean Rustin
Kaori Ito / Vladimir Velickovic
Mélanie Perrier / James Turrell

 

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