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Faits d’Hiver : « Amas » de Myriam Gourfink

Faits d’Hiver a débuté avec une nouvelle création de Myriam Gourfink: Amas, ou la lente fusion de huit astres en trois tableaux.

On ne regarde pas un spectacle de Myriam Gourfink comme n’importe quel autre. On contemple, comme si on se trouvait face à un tableau de Rothko. Dans Amas, l’image minimaliste se décline uniquement en noir et blanc. Bien sûr, Gourfink ne change pas de méthode. Elle travaille l’ouverture sur le mouvement derrière le mouvement, la face cachée de la lune chorégraphique que le spectateur scrute à travers ses lunettes.

Pourquoi changerait-elle ? Sa technique et le cercle d’interprètes qui l’entourent sont si rôdés qu’au travers de son approche - il serait hâtif de l’interpréter comme un ralenti - elle peut enchaîner les créations plus vite que tout autre chorégraphe.

Au début d’Amas, la contemplation se fait d’autant plus intense et épurée que les huit danseuses, couchées au sol, restent parfaitement immobiles. Elles convoquent le mouvement dans l’imaginaire du spectateur. Qu’ont-elles donc vécu pour profiter aussi harmonieusement d’un paisible rayon de soleil ? L’aventure qui les a ainsi comblées, l’ont-elles vécue collectivement ou chacune pour soi ?

Chacune dans sa bulle?

Le parti pris d’Amas est justement d’estomper la frontière entre ce qui réunit et ce qui sépare. Contrairement à ses pièces précédentes, où les corps sont imbriqués de manière remarquablement complexe, les interprètes d’Amas ne suggèrent aucune interaction directe. Chacune des danseuses a travaillé sur sa partition personnelle et occupe un espace indépendant. C’est dans son acception astronomique qu’il faut entendre le titre. 

Dans leur isolement relatif, les interprètes s’appuient cependant sur leur perception des autres et de l’ensemble. Le lien entre elles ne se dément jamais. Et pourtant,  Gourfink va ici loin dans l’abstraction du mouvement et des relations. L’attention du spectateur circule librement entre les chorégraphies individuelles et la partition collective portée par un travail conséquent sur le rapport au sol, la verticalité, l’élévation, l’état de conscience...

Quel rapport avec Merce?

On peut songer à Merce Cunningham et ses recherches sur un rapport paradoxal au corps et au mouvement, redéclinées à l’infini dans leurs nuances et variations. La différence est qu’avec Life Forms, Merce partait du virtuel, alors que les sources de Gourfink se trouvent dans le corps même, avec le travail sur la respiration, inspiré du yoga.

Mais comme chez Cunningham, on voit ici le corps investir des positions paradoxales et des directions a priori impossibles à concilier. Une lévitation très prolongée peut ainsi survenir quand la position du corps évoque, selon notre perception habituelle, une chute rapide. Comme chez l’Américain, cela s’accompagne chez Gourfink de tremblements des extrémités. Car il ne s’agit pas d’étirer un mouvement dans la fluidité, mais de l’atomiser pour le remettre en question et le reconfirmer instant par instant, telles des myriades de micro-gestes chorégraphiques.

Trop de certitudes

On peut distinguer trois phases dans Amas: Le tableau immobile et couché en ouverture, puis la très lente reconquête de la bipédie, et finalement une (trop brève) exploration de la verticalité, où l’ensemble gagne en densité, les corps se déployant jusque dans les espaces des voisines, pour intensifier les échanges énergétiques. Aucune violence dans ces intrusions mutuelles mais uniquement de la complicité.

De création en création, cette unité, à l’intérieur d’une création autant qu’entre les différentes pièces créées par Gourfink et ses interprètes, construit une série à la Warhol. Par contre, ce n’est pas Amas qui s’affirmera comme l’astre le plus brillant dans la galaxie Gourfink.

On en vient ici à une autre différence avec Cunningham. Le pionnier Américain était plus enclin à remettre en question une recherche précédente, pour aborder de nouvelles incertitudes. Le travail de Gourfink repose sur la certitude, qu’elle soit chorégraphique ou musicale. Ceci dit, le fait que Kaspar T. Toeplitz adoucit ses mœurs musicales confère à Amas une dimension spirituelle. A la fin, les lumières montent progressivement, comme avec un simulateur d’aube. Et les danseuses, telles des étoiles filantes, disparaissent sans venir saluer.

Thomas Hahn

Spectacle vu au T2G de Gennevilliers, le 12 janvier 2017

Chorégraphie : Myriam Gourfink

Danse : Amandine Bajou, Céline Debyser, Margot Dorléans, Carole Garriga, Deborah Lary, Julie Salgues, Nina Santes, Véronique Weil

Composition et live-electronics : Kasper T. Toeplitz

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