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Excelsior

A Chaillot, Théâtre national de la Danse, le chorégraphe Salvo Lombardo éclaire notre époque grâce à un ballet italien très populaire de la fin du 19e siècle. L’occasion de faire un retour sur cet Excelsior !
Excelsior, ballet de Luigi Manzotti, créé le 11 janvier 1881 à la Scala de Milan est d’abord une superproduction d’un faste inouï réunissant 508 danseurs, mimes et figurants. Il constitue l’apogée du Ballet italien du XIXe siècle.
A l’époque, le ballet italien et surtout La Scala de Milan est à son zénith, marqué une génération de danseuses remarquables, comme Fanny Cerrito ou Virginia Zucchi, mais aussi Carlotta Brianza ou Pierina Legnani qui auront des carrières internationales.  Luigi Manzotti est un interprète et chorégraphe (même si le terme n’existe pas à l’époque) doué. C’est lui qui inaugure le genre monumental en matière de ballets, grâce notamment à des praticables escamotables, qui n’auront rien à envier aux scéno-chorégraphies cinématographiques de Busby Berkeley quelques cinquante à soixante ans plus tard.
Très populaires, ses œuvres précédentes enthousiasment les foules et tournent dans les grandes villes. C’est d’ailleurs lors d’une tournée à Lyon en plein essor industriel, qu’il aurait eu l’idée d’Excelsior. Car le ballet, véritable ode au progrès et à la science, met en scène le triomphe de la Lumière sur l’Obscurantisme. En deux actes et six sections, qui commencent par l’Inquisition espagnole, et se terminent par le "Défilé des nations", on aura tout vu : le premier bateau à vapeur de Denis Papin détruit sur la Weser, les prodiges des inventions, deux trains se croisant sur un pont à New York, Volta découvrant le courant alternatif, La fée Electricité énergisant l’Univers, de petits télégraphistes porteurs de bonnes nouvelles à Washington, une caravane ensevelie dans le désert par le simoun, l’inauguration du Canal de Suez, l’abolition de l’esclavage à Ismaïla, des ouvriers perçant le tunnel du Mont-Cenis avec allégresse, et, dans un finale grandiose, le fameux défilé de la paix universelle de tous les pays civilisés.
Bref, Excelsior est du jamais vu, de l’inimaginable, une pièce gigantesque mêlant l'allégorie, le réalisme présocialiste, et le merveilleux, sous la bannière d’un avenir (plus !) radieux. Il possède même un parfum d’avant-gardisme, une sorte d’ancêtre du Futurisme par son exaltation du mouvement.

Avec ses milliers de costumes et ses décors colossaux d’Alfredo Edel, la musique ronflante de Romualdo Marenco, il suscite un enthousiasme délirant. Donné 103 fois à la Scala dès la première saison, il atteint 1000 représentations en 1898 et connaît de nombreuses productions Paris, New York, Saint-Petersbourg, Rio de Janeiro, Londres… en moins de cinq ans. La chorégraphie de Manzotti fait l’objet de trois notations (Giovanni Cammarano, Eugenio Casati, et Enrico Cecchetti).<

La version de La Scala de Milan en 2002

 

Si Excelsior connaît un tel succès, c’est aussi qu’il colle parfaitement au contexte socio-politique italien de l’époque. Le pays sort tout juste du Risorgimento qui consacre l’unité nationale après avoir chassé  les Autrichiens des provinces du Nord en 1860 puis obtenu la réunification du pays. A partir de 1876, l’Italie développe une politique industrielle et le peuple italien est en quête d’identité nationale, de progrès, et de modernisme.

Une version filmée non datée mais qui donne un aperçu de ce qu'a dû être Excelsior dans d'autres temps !

Cette épopée progressiste et positiviste va donner lieu à de nombreuses reprises et adaptations. En 1883, on construit à Paris l'Eden-Théâtre (à l'emplacement de l'actuel Théâtre de l'Athénée), pour recevoir l'œuvre de Manzotti. Elle reste neuf mois à l'affiche.À l’occasion de l’Exposition Universelle de 1889 à Paris, qui a pour thème, évidemment, le centenaire de la Révolution, le ballet est adapté au goût du jour : on y chante La Marseillaise, les décors montrent la cathédrale Notre-Dame et la Tour Eiffel, qui vient d’être construite. Il sera représenté plus de 300 fois ! En 1898, on trouve trace d’un film des Frères Lumière dont il reste quelques photogrammes.

En 1908, après la mort de Manzotti, la Scala reprend Excelsior dans une nouvelle version mise en scène par Carlo de Beer, une chorégraphie d’Achille Coppini et des décors du Français Eugenio Frey. C’est sans doute pourquoi les Nations défilent désormais sur les Champs-Elysées avec, pour toile de fond, l’Arc de Triomphe. On y a ajouté les dernières inventions, téléphone, cinéma, et ballon dirigeable. Cette dernière mouture donnera lieu à un film, réalisé en 1913 par Luca Comerio, et projeté dans toute l’Italie, dont il ne resterait que quatorze minutes restaurées par la cinémathèque italienne.

En 1916 une nouvelle version y dénonce les horreurs de la Guerre. Malheureusement, et comme il arrive hélas, souvent, l’histoire a des retournements aussi imprévus que délétères. L’idéologie, au départ humaniste, mais qui, en saluant l’unité italienne fait aussi la part belle au nationalisme, et qui célèbre les progrès de l’humanité en la teintant d’héroïsme, est vite récupérée dans une version de 1931 qui fait l’apologie du fascisme.  
Exit Excelsior dans le monde de l’Après-Guerre et jusqu’en 1967, où une nouvelle version apparaît avec Carla Fracci, Attilio Labis et Ludmilla Tcherina qui tournera ensuite pendant une trentaine d’années et dont on verra une descendante en 2002 à l’Opéra de Paris. En 1974, est créée une version pour marionnettes qui passera (déjà !) à Chaillot en 1984 et 1987 dans le cadre du Festival d’Automne.

La version de Salvo Lombardo

 

Quelle sera donc cette nouvelle version créée par Salvo Lombardo ? Une version détonnante, « qui, tel un DJ set, mêle danse, musique, vidéo et scénographie pour porter au plus haut l’incandescence des corps »1. Aux sept danseurs de la pièce s’ajouteront dix interprètes du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) auditionnés sur place pour interpréter plusieurs scènes et notamment le quadrille du ballet original.  Il y dénonce, pêle-mêle, les dérives de notre monde, et les méfaits du progrès et de l’ère industrielle, les horreurs du colonialisme et du nationalisme.
Reste que le thème original d’Excelsior, à savoir le triomphe des lumières et de la science sur l’obscurantisme est plus que jamais nécessaire, dans notre monde qui s’affole, à l’heure du complotisme et du triomphe de la rumeur.

Agnès Izrine

Excelsior de Salvo Lombardo, du 15 au 17 octobre, Chaillot Théâtre national de la Danse

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1Programme de saison de Chaillot.

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