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Entretien Pierre Rigal

DCH : La plupart de vos créations ont pour titre un seul mot. Partez-vous plutôt du mot ou de l’idée qui détermine le mot quand vous commencez vos créations ?

Pierre Rigal : La recherche du titre et la recherche sur le mot sont un peu concommittants. Je cherche un mot qui va m’inspirer un sujet et ensuite je regarde sa définition. Je suis souvent un peu surpris. Outre la définition principale, je m’intéresse aussi à l’étymologie, à l’histoire de ce mot qui peut raconter beaucoup de choses sur un titre. C’est ainsi que je me suis rendu compte que « Standard » venait d’estandard soit étendard. Or il y avait un drapeau dans ma scénographie. Donc parfois c’est la validation d’une intuition. Pour Mobile, plusieurs de ses significations peuvent trouver place dans mon spectacle.

DCH : Diriez-vous qu’il existe une filiation entre Erection (un homme qui cherche à se lever), Press (les difficultés d’un homme qui cherche sa place dans un espace qui s’amenuise) et Mobile ?

Pierre Rigal : Ce sont trois solos que j’interprète moi-même. Je retrouve donc des conditions de spectacles très particulières par rapport aux autres pièces. On passe beaucoup de temps seul dans un studio et cela crée une pression car je sais que chacun de mes mouvements va être détaillé par le spectateur.

En terme de dramaturgie il y a des complémentarités mais ce n’est pas une suite à proprement parler. Mobile, c’est un homme qui est dans un espace grand et vide. Il va vouloir le remplir, combler une angoisse, et finalement se faire dépasser par ce remplissage.

DCH : Avec quoi remplissez-vous cet espace ?

Pierre Rigal : Ce sont des images d’objets, des représentations de rêves ou de cauchemars. On est dans l’idée d’une angoisse de l’objet et de sa consommation de manière à exprimer la peur de l’utilisation de notre espace vital, de notre planète. Là on peut trouver des liens avec Press ou Erection car les deux pièces véhiculent la notion de l’habitat, de l’environnement, du contexte social qui contraint la personnalité. En ce sens c’est une sorte de continuité. J’essaie toujours de faire des choses très différentes mais finalement je m’aperçois que c’est proche. À chaque fois ce sont pour moi des aventures différentes.

DCH : Cette frénésie de possessions et ce goût du gagdget technologique n’est-il pas aussi pour l’homme une façon de « s’augmenter » que ce soit en terme de pouvoir ou de puissance…

Pierre Rigal : Je fais le lien entre la technologie et l’homme mais aussi entre l’homme et l’animal. Et finalement entre l’animal et la technologie. C’est l’histoire d’un homme tiraillé entre notre monde technologique et notre part d’animalité, presque bestiale. Ces questions que notre humanité se pose de plus en plus. La question de l’absence de Dieu.

DCH : C’est quasiment Pascalien…

Pierre Rigal : C’est ça. On est dans un moment où j’ai l’impression que l’on revient au fétichisme. Les fétiches de notre temps, ces dérisoires objets de consommation qui, peut-être, disent finalement beaucoup de notre monde. De nouveaux dieux d’aujourd’hui qui s’incarnent dans ces bricoles et remplissent un vide spirituel. Le spectacle s’appelle Mobile, donc bien sûr, il y a cette question de l’attache au ciel, comme métaphore de l’illusion des dieux.

Pour autant je ne porte aucun jugement. Il y a de la bêtise partout, dans les objets comme dans la spiritualité. Je traite cette comparaison avec humour et distance. Mais c’est tout de même l’idée de la fin d’un temps –  Je ne sais pas trop comment le définir –  et d’une transformation qui passe par quelque chose d’un peu apocalyptique mais au sens étymologique. Ce n’est pas négatif, puisque ça signifie la révélation ou l’action de découvrir, c’est un renouvellement, une révolution positive.

DCH : Quelles sont donc les images-objets que vous avez choisies ?

Pierre Rigal : On voit une cabine téléphonique, un scooter, des objets urbains extérieurs, venant de la rue. Il y a un seul homme dans cet espace urbain vide qui va considérer ces objets comme des reliques. Il était important que ce soit des images d’échelle 1. Notamment pour les voitures. Ce sont des photos à échelle 1 et la photo suit les contours de la voiture qui apparaît donc en 2 dimensions. Cela crée un petit effet de trouble et d’optique assez amusant. On pourrait presque y croire. Il y a un effet de réalisme intéressant. C’est vain et c’est d’une beauté passée. Je peux les transporter, les porter, me cacher dessous. Cette utilisation différente d’une voiture peut créer du sens, du décalage et l’intérêt de ces objets en 2D c’est non seulement d’en avoir beaucoup à moindre coût mais aussi de porter un regard sur notre monde. Ce qui nous intéresse est-ce l’objet ou son image ? Son idée ? Aujourd’hui, ce que l’on achète c’est surtout ou d’abord une image. C’est le principe même de la pub.  Par ailleurs, je suis frappé par les images qu’on voit sur You Tube ou Internet où l’on voit des jeunes qui grimpent sur des immeubles, se promènent au bord du vide et se filment. Entre les Gopro et les téléphones portables n’importe qui peut se filmer très facilement. On peut même faire à moindre coût des images impressionnantes. Et je me demande : est-ce la chose périlleuse ou l’image de cette chose qui intéresse ceux qui l’entreprennent ? Tout se mélange à tous les niveaux : l’action et l’image, l’objet et l’image.

DCH : On voit même de plus en plus de gens ne plus regarder ce qui les entoure mais se regarder eux-mêmes dans le paysage qui les entoure grâce aux perches à selfie…

Pierre Rigal : La banalité revêt une importance parce qu’elle est filmée. En même temps, si on pouvait voir aujourd’hui les images d’une famille inca en train de dîner on serait émerveillés. Donc qu’est-ce qui est important ? Voir une œuvre ou se filmer à côté pour  se prouver qu’on est à côté d’une œuvre ?

DCH : Avez-vous travaillé avec des procédés spécifiques au niveau de la chorégraphie ?

Pierre Rigal : Au niveau chorégraphique, commme je travaille avec des objets je m’inspire de danse traditionnelles en rapport avec le chamanisme, et fétichisme, l’animalité. Je porte donc un regard sur la danse traditionnelle du côté de l’Afrique et de l’Asie. Ce sont un peu mes sources d’inspiration.

DCH : Qu’avez-vous prévu pour la musique ?

Pierre Rigal : J’ai demandé une création à Nihil Bordures qui a fait la musique de Standard et de Press. Il ne crée de musique que pour le spectacle vivant et sait ménager beaucoup d’interactivité avec ce qui se passe sur le plateau. Du coup cela permet de créer un univers plus fort, plus crédible. Dans Mobile, quand je bougerai un bras, je générerais un son. Alors que pour Press, le son était créé quand je me heurtais à la structure. Là, j’espère créer un son sans rien toucher. Le mouvement des objets génère également un son. Ça permet de basculer dans des ambiances oniriques ou brutales.

J’ai également sollicité Taïcyr Fadel. J’ai déjà travaillé avec lui sur Bataille et Paradis Lapsus. Il est dramaturge mais aussi psychanalyste et comme c’est un spectacle plus ouvert que Press, la dramaturgie s’est imposée. Car du coup, il peut se passer plus de choses mais c’est un puzzle. Et puis j’ai toujours Mélanie Chartreux, ma collaboratrice artistique avec moi, sans oublier Frédéric Stoll le créateur lumière.

DCH : C’est votre première création en tant qu’artiste associé à à la Maison de la Culture de Bourges…

Pierre Rigal : Je suis très content d’être artiste associé à la Maison de la Culture de Bourges pour la première fois. Ça a été une bonne nouvelle pour moi, d’autant  que nous sommes partis pour un compagnonage d’au moins trois ans. Toute l’équipe du théâtre est derrière nous. De plus, Bourges est historiquement la première Maison de la Culture et on y sent le poids d’une tradition pour le théâtre populaire. Elle est très connue, très aimée des habitants.

Propos recueillis par Agnès Izrine

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