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« Das Kino » d'Isidia Micani aux CDC Les Hivernales

Qui, du prince et de la princesse, tire mieux son épingle du jeu quand la vie cesse de ressembler à un conte de fées ? Dans son solo Das Kino (Le Cinéma), créé en 2013, Isida Micani défie les normes imposées aux filles, et cela se passe, comme par hasard, au moment même où sort le film Brave (de Mark Andrews, en France sous le titre Rebelle), dans lequel la princesse Merida impose son cœur d'Amazone. Chez Isida, le conte de fées est à double tranchant: Quand elle se cure le nez, crache ou tire au pistolet, est-ce la princesse ou Cendrillon qui se révolte ? Aussi ludique soit-elle, cette rébellion ne vise pas seulement le regard sur le "sexe faible", elle comporte également une dimension sociale.

Das Kino est une pièce de danse en 3D, autrement dit, en trois dimensions. À savoir, un solo chorégraphique nerveux et intransigeant, une scénographie virtuelle pas toujours utile mais intrigante dans l'ensemble, et bien sûr une réflexion sur les stéréotypes liés aux "genres". Pas de théorie, rien que de la pratique, à partir du corps. Tout ça n'interdit en rien de s'accorder quelques moments où on retire les lunettes 3D distribuées à l'entrée, bravant la consigne selon laquelle le spectacle "nécessite le port de lunettes 3D pendant toute la durée". En vérité, Das Kino ne dépend pas totalement de ses effets visuels et on peut apprécier, de temps à autre, de voir l'interprète dans sa dimension la plus réelle. Et c'est là aussi du grand cinéma.

Remake inclus !

En 2015, Isida décide de transmettre Das Kino à Benjamin Bac, alors qu'elle continue de l'interpréter elle-même. Régime spécial pour la programmation des Hivernales au Festival d'Avignon 2015, où les deux versions ont été données en alternance. Ayant eu la possibilité de s'y rendre deux fois en vue d'une étude comparative, on ne peut que suggérer à la compagnie aKoma névé, fondée par Micani, de continuer à présenter les deux versions, si possible dans une même soirée. Ce ne serait pas la première fois qu'une telle confrontation aide à éclairer à la fois les stéréotypes des deux sexes et une chorégraphie en tant que telle.

Dans la même situation, elle et lui ne vivent donc pas la même histoire. Quand Bac reprend le rôle, la rébellion se mue en simple entrée dans la vie d'adulte, en épousant le rêve du Prince charmant. Simple ? Il peut être plus facile de tout rejeter en bloc que de traverser sa crise d'adolescence sur une voie toute tracée. Bac suggère qu'un prince aussi peut avoir envie de remettre en cause le rôle qui lui est imparti. Mais il finira par l'accepter, car il lui est plus facile d'y trouver son compte. S'il crache, c'est ce qu'on l'attendait de lui. Qu'un pistolet tombe entre ses mains n'étonne personne. Une grimace ne choque pas, elle amuse. Il n’y a pas de transgression, juste un regard ébahi sur l’univers des adultes.

Et finalement, vient l'heure des désirs. Dans une vidéo en 3D, on voit Micani tel un mirage, la tête vers le bas dans un paysage bucolique, comme dans un rêve de liberté et de sensualité. Ainsi elle se regarde comme dans un rêve. Avec l'homme sur scène, le mirage de Micani devient le désir d'un adolescent masculin. La nature du phantasme change. Aussi, la première version, interprétée par Micani, a ouvert le chemin vers la mouture masculine et l'éclaire de façon singulière. Ici c'est Eve qui précède Adam.

Avec ses décors intouchables, la 3D introduit une approche contemporaine de l’univers du conte de fées. Elle met en scène le château tel un échiquier inversé et les vitraux d'une église prennent la forme d'un labyrinthe inextricable, come autant de murs contre lesquels on se heurte dans la vie, quand on sort de l’âge à écouter les contes de fées. La dialectique créée par la juxtaposition des deux versions de Das Kino approfondit le questionnement des règles d’usage des modèles fournis pour les femmes et les hommes qui vivent sous des stéréotypes apparemment immuables, même à l’ère de la 3D.

Thomas Hahn

Du 10 au 20 juillet 2015 au CDC Les Hivernales (création mondiale de la version masculine)

Das Kino
D’Isida Micani et Spike (musique et projections 3D)
Interprétation : Isida Micani ou Benjamin Bac

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