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Danse et surf, une alliance philosophique

A Biarritz, Le temps d’aimer s’est jeté dans les bras de l’océan. Une nouvelle vague ? 

Dimanche 19 septembre, Biarritz, Grande Plage. C’est la journée proclamée Le Temps d’aimer l’océan. Sur le sable, les danseurs du Malandain Ballet Biarritz présentent des extraits du ballet Sirènes de Martin Harriague, faisant ressurgir une performance créée en 2019 à l’occasion de la Journée mondiale de l’Océan, ou World Oceans Day, créée en 1992 par l’Unesco pour sensibiliser le monde aux dangers que l’humanité fait courir son propre berceau. L’année prochaine, ce sera donc la 30fois, et rien ne s’est amélioré. 

Au contraire : Le lendemain du Temps d’aimer, le festival s’étant terminé le 19 septembre, les baigneurs sortent hâtivement de l’eau, alertés par haut-parleur : « La baignade est fortement déconseillée en raison de la pollution ». Journée mondiale, conditions locales.  Mais la pollution vient de loin, à la barbe des plaques posées, dans les rues de Biarritz, devant les égouts qui appellent à ne pas les utiliser comme poubelles.

La présence de l’océan était importante, les derniers jours de cette édition du Temps d’aimer, entre autres avec une conférence sur le thème Danse et surf. Certes, les deux font bouger la ville. Mais de là à les associer ? Que ferait donc le surf dans la danse, et inversement ? Idées vagues ou propos houleux ? On se rend donc à la Médiathèque, la tête pleine d’interrogations. Et la surprise est totale. 

Sur le plateau, Auréline Guililot, ancienne danseuse du Malandain Ballet Biarritz et aujourd’hui professeure de danse mais aussi surfeuse, interprète une chorégraphie qui joue avec le contrepoids imaginaire de la vague. Face à des images vidéo de la mer, Guillot s’élance, se plie, rebondit et fascine par un état de corps qui suggère un joyeux abandon, une complicité profonde avec les éléments. Danser sur scène avec un partenaire et chevaucher une vague sont, selon elle, des aventures comparables : « Il faut s’abandonner et accepter une part d’incertitude. » Et cet abandon nécessite, dans les deux cas, un entraînement rigoureux. 

Deleuze, la vague et le surf

Le philosophe Gibus de Soultrait et Mathieu Accoh, écologiste et surfeur, citent les origines du surf qui serait né à Hawaii en même temps que la danse Hoola. Se réfèrent à Joel Tudor, champion du longboard (planche de surf longue – et large) dont on dit qu’il danse en surfant. Montrent un film où on le voit en effet se déplacer sur son longboard jusqu’à ne plus le toucher qu’avec les talons. Nous apprennent que l’Australienne Stephanie Gilmore, sept fois championne du monde du surf, s’était initialement formée en danse. Un glissement qui paraît logique. Et inversement ? Y a-t-il des surfeuses qui deviennent danseuses ? La danse peut-elle vraiment procurer des sensations comparables à celle de « se fondre dans une vague, prendre son élan grâce à la vague » ? 

Plus philosophiquement, De Soultrait, surfeur dès l’enfance et plus tard étudiant de Gilles Deleuze et de Foucault, se glisse dans les réflexions de Deleuze (« Tous les nouveaux sports - surf, planche à voile... - sont du type insertion sur une onde préexistante. Les surfeurs ne cessent de s'insinuer dans les plis de la vague... Pour eux la vague est un ensemble de plis mobiles. ») qui s’articulent autour de la vague : « Surfer, c’est s’insérer dans une vague préexistante alors que danser, c’est composer un mouvement qui s’insère dans le monde. » C’est l’instabilité qui crée la mobilité: « Plus en est en stabilité sur sa planche, plus on perd en rapidité de mouvement. » Il faut accepter cette perte de contrôle pour faire corps avec l’océan. Exactement comme au ballet, selon Auréline Guillot : « Quand on danse avec un partenaire, on sent son haleine, son rythme cardiaque. Il faut abandonner une partie de soi. » 

Galerie photo © Thomas Hahn

Ballet de Sirènes et de surfeurs

Le lendemain, c’est la journée Le Temps d’aimer l’océan. Le matin, face aux vagues, danseuses et danseurs du Malandain Ballet Biarritz s’insèrent entre deux averses pour une performance chorégraphique composée à partir d’extraits de Sirènes de Martin Harriague, pièce créé en 2018 pour la troupe biarrote [lire notre critique]. Sur la plage, après le spectacle, Gibus De Soultrait confie : « A Biarritz, la présence du surf est forte, comme celle de la danse. Je me disais que les deux devaient se rencontrer. Martin Harriague s’intéressait à l’océan, mais plus sous des aspects écologiques. Moi, j’étais intéressé par le mouvement. Martin Harriague a organisé un premier événement entre danse et surf à la Plage des Basques en 2019. Le résultat a convaincu Thierry Malandain, il était ému. »

Les tableaux adaptés de Sirènes  se jouent sur fond d’un mandala réalisé par le beach artist Sam Dougados, qui a développé sa forme éphémère de land art après avoir découvert cette technique par… le surf ! D’où les planches de surf (de type longboard) ici intégrées et les dessins qui en reprennent les formes tout en reflétant les cultures originelles des peuples vivant avec les vagues. Les dessins évoquant boucliers, écailles et cercles créent une scénographie parfaite, sans parler des rochers et de la mer. 

Galerie photo © Thomas Hahn

Cette recréation sous son titre basque d’Itsas laminak (Sirènes, justement) s’apparente à un rite en faveur de l’océan, cette source de vie qui est en train de perdre sa capacité à se régénérer. Danseurs et surfeurs lui amènent leur énergie et leur sagesse, alors que c’est souvent l’inverse qui se produit, dans des cérémonies d’adieu. De Soultrait explique : « Quand un surfeur est décédé, on se réunit pour former un cercle humain dans la mer. Chaque participant verse de l’eau qu’il a amené de chez lui. » Et on déverse les cendres dans la mer.Ce n’est pas de la théorie, mais d’actualité, car De Soultrait raconte : « Jai organisé une telle cérémonie pour un surfeur du Pays Basque qui était l’un des premiers assassinés au Bataclan. » Et on passe sur les détails, car la pluie reprenait sur la plage. Le 8 juin 2022, reverra-t-on Itsas laminak 

Thomas Hahn

Le Temps d’aimer 2021, les 18 et 19 septembre 

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