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« Dancing Dance for me » de Sun-A Lee

Dans un programme valorisant le concept deleuzien d’hybridation, le festival ZOA et L’étoile du nord (rien à voir avec le resto de Thierry Marx), nous ont fait découvrir la pièce de Sun-A Lee, Dancing Dance for me.

L’objet ici poursuivi est, si l’on en croit la feuille de salle, de danser « l» court métrage Dance for me et non de danser « avec » ou « sur » les images de celui-ci. Précisons que la danseuse sud-coréenne Sun-A Lee s’avère être la comédienne principale de cette bande au côté de Jong-Hwan Park, un interprète lancé par la série télé des années 2010, Chulchulhan yeoja. Le film fut réalisé en 2014 par le directeur de la photographie Kyeong-yeob Choo, deux ans avant que soit créée la pièce. En sus de figurer dans le titre, la danse est motif, métaphore amoureuse et coda conclusif de cette love story. Le court métrage n’étant pas vraiment un film de danse, Sun-A Lee a voulu l’utiliser comme « projection chorégraphique ».

Pour ce faire, elle a exploré plusieurs types de rapports entre la danse et l’image. La prestation théâtrale inaugure cette interrelation peu après l’entrée de l’artiste côté jardin, le portable à l’oreille, sa séance d’exercices physiques, son déchaussement, son déshabillage, son échauffement, la diffusion via ce même appareil téléphonique d’une playlist accompagnant étirements, cambrures, courbures, tensions, flexions, d’abord sur le dos puis en position debout. Cet éveil du corps, soutenu par une ballade, des rythmes martelés au lamellophone et une plage musicale planante, est abandonné, à peine esquissé.

L’expression de Sun-A Lee oscille entre danse et yoga, agrémentée de suaves mouvements de la partie supérieure de son être, les bras. Les poignets et les doigts inventent ou récréent des signes ou mudras transmis par la tradition la plus lointaine, avec toujours une touche très personnelle. Elle enchaîne ses délicates suites de gestes et multiplie les angles d’attaque, varie avancées en diagonale depuis les coins et recoins du plateau. Elle s’assoit, nous fait face, dénoue l’épaisse natte soigneusement torsadée, peut-on penser, dans sa loge.

Galerie photo © Cie SunadanSe

La projection vidéo prend le relais. L’action intimiste et l’introspection mélancolique sont interrompues par un dialogue muet entre les deux protagonistes d’un film embarqués dans une voiture qui traverse un paysage montagneux enneigé. On a coupé le son des répliques et seuls les sous-titres en anglais nous en disent la teneur. Le film est alors privé d’image et de tout environnement scénique. Le procédé, comme le ton des comédiens, est à la séparation. La bande audio et la séquence visuelle se rejoignent un temps après avoir été dissociées par la volonté artiste de la chorégraphe – cela, peut-on supposer, avec l’accord du réalisateur.

La danseuse en cheveux et la protagoniste du film portent le même manteau en laine à motifs de tartan. Un autre mode opératoire est ensuite proposé, qui gèle l’image filmique et laisse vivre le geste théâtral. La vidéo est littéralement manipulée, modelée, remontée au profit du jeu de Terpsichore. Non que le film soit détourné de son contenu dramatique, au contraire, le jeu de la danseuse renforçant celui de l’actrice.

Bien entendu, les rapports entre le monde du ballet et celui du cinématographe sont anciens puisqu’ils ont depuis toujours joyeusement mis en abyme, mélangé, parfois confondu les genres et les médiums, ce, depuis Edison et Méliès. La forêt de bouleaux illustrant le finales de la pièce peut faire songer à une scène de Tippeke (1996), un court métrage de Thierry De Mey qui montrait une jeune femme parcourant à pied un paysage sylvestre. Ce décor fut projeté en grand dans un spectacle de De Keersmaker.

De même, la danse de notre héroïne, dos au public, synchronisée à celle de son double écranique et de son triple silhouetté – l’ombre d’elle-même, en quelque sorte, dont la partie obscure résulte d’une perte dimensionnelle – rappelle la scène de tap-dance de Fred Astaire rendant tribut à Bill Robinson dans le musical Swing Time (1936). Inutile de dire que ce passage est le clou du spectacle de Sun-A Lee.

Nicolas Villodre

Vu à L’étoile du nord le 30 octobre 2018 dans le cadre du festival ZOA – Zone d’occupation artistique

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