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Création d’« Akzak » : Entretien avec Héla Fattoumi et Eric Lamoureux

Akzak, une pièce « éminemment dansée » par un « bloc d’humanités », sera créée le 25 septembre à Limoges, aux Zébrures d’Automne. 

Danser Canal Historique : Dans Akzak, presque tous les interprètes viennent du continent africain : Burkina Faso, Maroc, Tunisie... Le projet peut-il se réaliser comme prévu ? 

Héla Fattoumi : Heureusement, oui. Aujourd’hui, au jour où nous nous parlons, nous sommes la veille de la reprise des répétitions, et tout le monde est arrivé. Quant aux danseurs du Maroc, ils ne sont de toute façon pas rentrés chez eux depuis janvier, en raison des incertitudes, et l’état marocain a effectivement fermé ses frontières, même pour ses propres ressortissants. Ils ont travaillé tout l’été à Viadanse CCN de Bourgogne Franche-Comté. 

DCH : Akzak s’inscrit dans votre travail de bâtisseurs de liens entre l’Europe et l’Afrique. Pouvez-vous nous présenter ce projet ?

Héla Fattoumi : L’idée de départ était de rassembler plusieurs artistes que nous connaissions, pour certains depuis plusieurs années. D’autres sont issus de notre formation à Ouagadougou. Akzak croise la création, la transmission et la formation. Le projet s’est construit en trois temps. Le premier acte a été fait de nos déplacements, pour choisir les danseurs. Le deuxième consistait à rendre le projet possible sur le plan administratif, en conformité avec les règles imposées par la France. Il était important aussi qu’ils puissent revenir pour assurer la tournée du spectacle. Tout ça avant même que le coronavirus ne pointe son nez, pour ajouter des strates de complexité que nul n’imaginait encore. Artistiquement, il s’agissait de former un groupe à travers un travail sur le rythme, ou plutôt des rythmes, en posant les conditions pour qu’un rythme personnel naisse de chacun pour créer un langage partagé. 

Eric Lamoureux : Il est important de souligner qu’il n’était pas question pour nous d’inviter ces danseurs en ayant une démarche folklorique ou identitaire. Quand nous parlons de rythmes, il s’agit de partitions qui prennent en compte la singularité de chacune et de chacun, sans travailler une importation de rythmes du Burkina Faso ou d’ailleurs. Toutes ces singularités font « humanités », dans la richesse de leur diversité.  Xavier Desandre Navarre est un compositeur et musicien qui travaille sur l’hybridation et des combinatoires sans assigner ses compositions à telle ou telle culture. Il joue sa partition en direct en restant réactif aux danseurs. 

DCH : Que signifie le titre ? A quoi fait-il référence ?

Eric Lamoureux : Ce terme vient des Balkans. Il désigne le contretemps et la combinaison des rythmes irréguliers. Ce mot veut aussi dire « boiteux ». Nous avons privilégié les rythmes à cinq ou sept temps. Nous nous sommes empêchés de travailler avec des rythmes binaires. Au résultat, les séquences rythmiques, et donc de danse, sont très particulières et déstabilisantes pour les danseurs. Nous avons travaillé sur le tempo, la syncope, le contretemps,  le quart de temps, la rupture, l’impact… 

Héla Fattoumi : C’est ce qui nous a fait avancer dans l’écriture de la pièce. Par ailleurs, les instruments de Xavier Desandre Navarre n’incluent aucun élément de cultures traditionnelles et ne peuvent être assignés à aucune musique du continent africain. Cette musique n’assimile rien, elle n’est pas une synthèse mais oblige à faire un détour. 

Eric Lamoureux : Akzak est une pièce chorale en dialogue permanent avec une partition rythmique. Elle met le groupe au centre. Nous avons essayé de laisser apparaître les singularités à travers l’engagement et l’imaginaire physiques, mais sans leur demander de danser des pas de « chez eux ». Surtout pas ! 


DCH : Vous êtes passés par un processus de création inhabituel, complexe, mouvementé...

Eric Lamoureux : Pendant une première année, avant de commencer le travail en studio, le processus de travail était fat d’allers et de retours. Nous sommes allés au Burnika Faso, en Tunisie et au Maroc pour diriger des ateliers. Nous y avons travaillé avec les jeunes pour constituer le groupe. Ensuite nous les avons invités successivement à Viadanse, chaque fois pour un laboratoire avec Xavier Navarre, selon des protocoles de recherche, pour imaginer comment nous allions engager le processus réel, quand tout le groupe serait réuni. Ce processus est né grâce à une structure rythmique de départ, faite de huit séquences rythmiques proposées par les danseurs. Nous sommes partis de frappes des mains, pour arriver successivement à la danse. Les séquences rythmiques émanent donc de chaque danseur et créent un fond commun, une structure rythmique à partir de laquelle la danse a surgi, collective ou individuelle, dans des solos furtifs qui sont éclairés par le groupe et qui éclairent le groupe. Le 14 mars, nous étions à une semaine de partir au Maroc et la pièce était pratiquement là. Il restait juste une semaine de travail à faire, pour la finaliser. 
 

DCH : Il y a donc une relation particulièrement organique entre le son et le corps ? 

Héla Fattoumi . : Le sol d’Akzak est sonorisé, ce qui permet aussi de travailler à partir de la marche et des différentes scansions de piétinement. Chaque danseur manipule deux petits LED qui peuvent créer des contrastes et rentrent dans la partition rythmique. Avec Xavier Navarre, nous avons aussi découvert ces petits tubes sonores qui sont des instruments pédagogiques pour enfants. Chaque tube produit un son spécifique en frappant sur la main. Nous avons étendu la zone de frappe sur le corps entier, pour une extrapolation d’états de corps et de danse. Ces tubes sont présents assez tôt dans la pièce, comme une sorte de relais. 

DCH : Le relais nous amène vers la partie longue du titre : l’impatience d’une jeunesse reliée. Reliée par ces tubes, sans doute par internet et aussi par les baskets qu’ils portent ici pour danser ?

Eric Lamoureux : Ils sont absolument reliés par internet, mais nous n’avons pas voulu faire rentrer dans le matériau de la pièce des éléments comme ordinateurs, téléphones ou projections. Il s’agit d’une pièce éminemment dansée. Ils sont aussi liés par la richesse de leurs différences et peuvent trouver, dans un élan commun, des choses à partager. Et effectivement, ils ont aussi les baskets en partage, on en trouve de très belles à Ouagadougou, bien que ce soient des contrefaçons. En même temps, nous avons essayé de conserver les écarts entre les personnes. Ils restent singuliers, et c’est grâce au respect de ces différences que le lien est possible. Nous ne cherchons surtout pas une assimilation. Ils font bloc d’humanités, dans leurs différences. Il fallait montrer que cela est possible, c’est l’un des enjeux majeurs de cette pièce.

Héla Fattoumi : Leur singularité vient aussi de leur parcours dans la danse, comme par exemple chez Fatou Traoré, une jeune danseuse que nous avons connue à Ouagadougou et qui pratiquait le coupé décalé. Les danseurs marocains ont beaucoup travaillé avec Taoufik Izzediou et nous les connaissions déjà. Leurs façons de mettre leurs corps en jeu n’ont rien à voir avec celle de Juliette Bouissou qui a étudié au CNSMD de Paris. Il y a eu entre eux une multitude d’échanges sur la manière d’être danseur dans les pays respectifs. Que signifie être danseur quand il faut prendre un bus pendant une heure et demie, traversant tout Ouagadougou à six heures du matin pour aller à La Termitière de Salia Sanou et Seydou Boro, quand il fait entre 45 et 50°? Ces échanges et autres à-côté nourrissent la pièce de façon souterraine et contribuent à créer la cohésion du groupe. Il n’y a jamais eu la moindre tension dans le groupe, ce qui est vraiment exceptionnel. Ils ont un désir de danse extrêmement fort. 

DCH : Le sol est couvert d’une sorte de sable rouge. Sans doute une référence subsaharienne ?

Héla Fattoumi : Au départ, nous voulions travailler sur un sol couvert de granule de liège, pour créer des effets sonores. Mais pour des raisons écologiques nous y avons renoncé. En plus, ce matériau produisait tellement de poussière que les danseurs étaient obligés de porter des masques pour pouvoir respirer ! Nous avons fini par trouver un autre matériau, le granulé de tartan. 

Eric Lamoureux : La couleur ocre-rouge du granule est bien sûr une référence à la terre rouge de Marrakech et celle de Ouagadougou, qui est beaucoup plus claire. 

DCH : Vous avez développé les échanges entre Viadanse-CCN Belfort et le CDC La Termitière de Ouagadougou. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Héla Fattoumi : Notre histoire avec Salia Sanou et Seydou Boro date de notre époque à la direction du CCN de Caen et du festival Danses d’ailleurs que nous y avons créé. Les deux avaient même participé à la programmation du festival. Quand nous avons pris la direction du CCN de Belfort, nous avons repris le contact, vu que la ville de Belfort a depuis longtemps tissé des liens privilégiés avec le Burkina Faso. Avec Sanou et Boro, nous avons construit un programme d’accompagnement et d’échanges sur trois ans qui inclut les artistes de la formation Yeelen Don qui est associée à La Termitière. Le personnel technique et administratif du CDC de Ouagadougou sera invité à Belfort pour se former, même s’il est évident que les réalités de La Termitière sont très différentes de celles d’un CCN français. Ce projet est financé par la région et le Fonds en soutien à la coopération du ministère des Affaires étrangères.

Eric Lamoureux : Pour les danseurs participant à Yeelen Don, la création d’Akzak finalise la formation. Les villes de Belfort et Ouagadougou ont par ailleurs signé un nouveau projet de coopération. Il y a aussi un film documentaire de 52 minutes qui est en train d’être produit sur la création d’Akzak et le travail de recherche pour cette pièce, ainsi que sur la vie de chacun des ces artistes dans  leurs pays respectifs, pour éclairer la façon dont leurs singularités et leurs façons de vivre ont irrigué la pièce, sans pour autant en faire une pièce documentaire. 

Propos recueillis par Thomas Hahn

Création d’Akzak au festival Les Zébrures d’automne, Limoges, les 25 et 26 septembre 2020

Le 2 octobre au Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine

Chorégraphie / scénographie : Héla Fattoumi / Éric Lamoureux
Composition et interprétation musicale : Xavier Desandre Navarre

Interprètes : Sarath Amarasingam, Juliette Bouissou, Meriem Bouajaja, Mohamed Chniti, Chourouk El Mahati, Mohamed Fouad, Adama Gnissi, Moad Haddadi, Synda Jebali, Mohamed Lamqayssi, Fatou Traoré/Johanna Mandonnet, Angela Vanoni

Collaborateur artistique : Stéphane Pauvret
Création lumières : Jimmy Boury
Costumes : Gwendoline Bouget Assistante costumes : Bérénice Fischer

https://viadanse.com/spectacle/akzak

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