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« Conjurer la peur », Gaëlle Bourges

Dans la droite ligne de ses précédents opus en dialogue avec l’histoire de l’art et ses  représentations emblématiques, Gaëlle Bourges signe une étonnante ‘conférence dansée’ sur l’un des hits du Quattrocento , la fresque Du Bon et du mauvais gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti.

De cette vaste allégorie qui orne depuis 1338 les murs de la salle de la Paix du Palazzo Pubblico de la ville de Sienne, en Toscane, on ne verra rien, du moins aucune image projetée ou reproduite en fond de décor. En revanche, on saura tout, jusqu’à la dimension charnelle - oubliée depuis sept siècles - des hommes et femmes représentés sur la paroi et auxquels, soudain, Gaëlle Bourges rend vie et mouvement.

Galerie photo © Laurent Philippe

Le principe scénique est simple : entourée de huit formidables performers, la chorégraphe commence par décrire et commenter, telle une savante conférencière, les détails et les enjeux de la peinture. Obligeant le public à en reconstituer peu à peu une image mentale, soutenue par les ‘tableaux’ successifs que miment les interprètes.

Ces derniers, qu’on dirait sortis du mur siennois, prennent la pose en une série d’évocations suggestives des scènes de la fresque. Non dans une plate imitation des postures, ni une artificielle tentative de reconstitution avec décors et costumes. Ici, seuls les corps disent avec une saisissante acuité symbolique ce que le peintre siennois a voulu exprimer. Et même ce que, selon la chorégraphe, il n’a pas pu dire, hormis sous la forme d’un rarissime nu féminin :  l’expression d’une sexualité aussi sous-jacente que débridée, qu’elle met en gestes de façon un peu trop insistante, comme un pied de nez à tous les interdits moraux.

Cette œuvre magnifique, exécutée en réponse à une commande de la part du Gouvernement des neuf, conseil démocratique de citoyens alors à la tête de la cité, est en effet d’abord un manifeste politique. Ces vues de la ville et de la campagne environnantes qui illustrent les effets d’un bon et d’un mauvais gouvernement proclament in fine les vertus d’un pouvoir communal géré au profit de tous, plutôt que dans les mains de quelques-uns. Cette réflexion toujours d’actualité est appuyée sur les propos de l’historien Patrick Boucheron, dont la chorégraphe reprend les analyses, et dont l’ouvrage consacré à la fresque, paru en 2013, donne son titre à la pièce.

Galerie photo  Laurent Philippe

A ce premier croisement avec l’actualité se substitue progressivement un second, plus tragique. Gaëlle Bourges a en effet été le témoin direct de l’attentat au camion sur la Promenade des Anglais à Nice le 14 juillet 2016. Et l’injonction à conjurer la peur lancée trois ans plus tôt par Patrick Boucheron se croise dès lors avec le désir de surmonter l’horreur, en écho avec la dénonciation de la Tyrannie, de l’Orgueil, de la Misère et de la Guerre mise en images par Lorenzetti.

Les danseurs qui, quelques instants plus tôt, incarnaient impassibles ces allégories négatives - figurées par une simple inscription au dos de leur tee-shirts -, se livrent désormais cette pulsion de vie qui résiste à toutes les terreurs. Unis dans une ronde éperdue au son de Daydreaming, de Radiohead.

Isabelle Calabre

Vu le 22 novembre 2017 au Théâtre des Abbesses

En tournée le 19 décembre à Armentières (59), Le Vivat, le 30 janvier à Cherbourg-Octeville (50), Le Trident, le 15 mars à Pau (64), Espaces Pluriels, dans le cadre de « Résonance(s) » et le 17 avril à Saint-Brieuc (22), La Passerelle,

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