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« Concrerto » d’Aina Alegre et de David Wampach

Comme un gag d’ados en goguette, Concrerto que propose Aina Alegre et David Wampach, amuse cinq minutes, pour peu que l’on soit un rien complaisant. Et comme ce n’est pas le genre de la maison, on préférera oublier ce faux pas. 

Dès que les musiciens, heaumes de caoutchouc bleu, jupes du même, entrent sur le plateau, annoncés d’une cacophonie informe, l’un jouant d’un genre d’épinette des Vosges et d’un violon, l’archet frottant simultanément les cordes des deux instruments, d’autres portant les éléments d’une batterie, sorte de batucada dézinguée costumée par un émule du Bauhaus désargenté, la catastrophe s’annonce. Ils pourront ensuite jouer du saxophone, s’époumoner dans des harmonicas ou continuer à tapouiller avec plus ou moins d’efficacité sur des cymbales ou des caisses claires, rien n’y fera. Cela joue à mal jouer avec quelques affectations qui évoquent un groupe d’adolescents découvrant une Barbie-batterie. Cela va crier un peu, vers la fin ; cela se vautre et rampe légèrement ; quelques petits gestes vaguement rythmés.

Pour ce qui serait de l’art de jouer faux, fort et violemment, cela reste très en dessous de ce que pouvaient faire Sid Vicious et les punks de la grande époque ; pour l’affirmation d’une « pièce hors normes qui mobilise – à importance égale – le son, la voix et le corps en tendant tout du long vers un état d’abandon explosif et jubilatoire » comme il est dit dans le programme, cela est infiniment en dessous de ce que balançait les joyeux farfelus de Fluxus qui eux cassaient vraiment les pianos et qui non seulement proclamaient que Fluxus c’était « de rater un spectacle » ou de « jeter vingt litres d’huile sur la scène de Giselle » ou encore de « s'endormir et ronfler lors d'un concert de Stockhausen », mais en plus le faisaient ! Ici, c’est Fluxus, mais au rayon Jouet-Club. 

Si l’on s’en réfère encore aux ambitions affichées par la feuille de salle, le « son » est pauvre, simplement amplifié ce qui est limiter la provocation à l’implication de la régie, le « corps » est largement absent (quand Fluxus se référait directement à Cage et à Anna Halprin) et il n’y a guère que Wampach lui-même pour esquisser deux ou trois bricoles, quant à la « voix », faiblarde et sans magie, elle est simplement anecdotique. Un petit cri de rien pour damoiseaux asthmatiques… Il faudrait ne jamais avoir entendu la fascinante voix d’une Meredith Monk, par exemple, pour succomber à l’exercice. Cela se veut « alliage de morceaux et de situations disparates qui proclament l’exagération, l’emphase et le contraste” », mais il n’y a rien de tout cela. Rien de disparate, aucun alliage, faute d’une ambition voire d’un rituel. N’est pas Gunter Bruss ou Hermann Nitsch qui veut. 

Quant à prétendre être « hors norme », c’est montrer une abyssale ignorance de l’histoire de la performance, en particulier musicale, au cours des cent dernières années : Dada était déjà infiniment plus « hors norme » que ce concours d’air-batterie anémié. Même les petites expérimentations témoignant d’une certaine technique auquel se livrent les protagonistes, comme le fait de jouer simultanément de deux saxophones (ténor et soprano), tombent à plats : on signalera, pour mémoire, que Steve Lacy et Steve Potts donnaient des concerts complets (deux sets minimum), à deux et pour quatre saxs, il y a trente ans… Et avec d’autres « éclats sonores ». 

Qu’une performance s’abandonne au n’importe quoi relève souvent de l’essence même de l’exercice, mais il faut alors un investissement, un risque, ce que Michel Leiris appelait « une corne de taureau ». Ici, tout est vaguement engagé, superficiel, pire : anecdotique ! De la part de David Wampach et d’Aina Alegre, ceux-là même qui avaient bouleversé avec une pièce comme Veine (2014) qui, elle, offrait « l’exagération, l’emphase » (et une autre prise de risque), cette pochade est un faux pas. De la part de David Wampach qui a déjà mis son corps en jeu face à un batteur (Batterie, 2007), c’est une régression. Il n’y a pas le moindre engagement réel et les quatre interprètes finissent à peine essoufflés.  On l'avait connu beaucoup plus inspiré à Montpellier Danse avec Endo (2017) et surtout SACRE (2011) !Les danseurs de Berezina (2019), du même David Wampach, finissaient dans un état d’épuisement qui ne leur donnait pas envie des petites facéties moqueuses auxquelles se livrent ceux de ce Concrerto qu’on oubliera volontiers. 

Philippe Verrièle

Vu à Montpellier, le 3 octobre, Opéra Comédie Salle Molière, dans le cadre du festival Montpellier Danse 40Bis. 

 

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