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Claude Brumachon, l'écorché vif !

À l’occasion de la reprise d’Écorchés vifs au Musée Bourdelle, à partir du 18 mai, nous avons interrogé Claude Brumachon sur cette aventure singulière et sur les moteurs de sa création.

Danser Canal Historique : Comment est née cette création au Musée Bourdelle ?

Claude Brumachon : Quand je suis arrivé à Paris au tout début des années 1980, j’allais souvent au Musée Bourdelle. Je venais des Beaux-Arts de Rouen, et j’y trouvais une certaine sérénité, car j’étais alors un peu perdu dans la capitale. J’avais déniché quelques endroits où me ressourcer, me poser et réfléchir. Un jour, dans les années 2000, je me suis brusquement souvenu de ce lieu et j’ai eu l’envie d’y créer une pièce déambulatoire.

Donc j’ai pris rendez-vous au musée pour exposer mon idée et j’ai rencontré Rhodia, la fille d’Antoine Bourdelle. Quand elle a entendu les mots « danse/Bourdelle » elle a tout de suite été enthousiaste, car le sculpteur a toujours vu des rapports très étroits entre les deux arts, lui qui a dessiné et sculpté Isadora Duncan pour la façade du Théâtre des Champs-Elysées. Ma proposition tombait, d’une certaine façon, à pic. Rhodia a supervisé la mise en place de ce projet, elle était la personne la plus importante du musée, sa mémoire vivante en quelque sorte. Et pour moi, ça résonnait avec l’ensemble de mon travail. Ces sculptures majestueuses correspondaient à mes références picturales, au mouvement que je cherchais à travers mes pièces, elle avait une parenté évidente avec ma gestuelle. La Ville de Paris a tout de suite été partante pour ce projet, Écorchés vifs, qui a été montré pour la première fois en 2003 au Musée Bourdelle. Face à son succès, il a été représenté pratiquement chaque année, à raison de quinze soirées par session.

DCH : D’où provient ce titre, Écorchés vifs ?

Claude Brumachon :Je l’avais appelé Écorchés vifs car, 2003 était une période de grandes mutations dans la compagnie. Je cherchais d’autres voies, un autre moteur, et à ce moment sont sorties aussi Témoin, Festin, des pièces assez marquantes. Je voulais rendre visible l’invisible, ce qui poussait le danseur à se mouvoir, comme ce que la danse faisait au corps, mais sous la peau, comme si l’on pouvait voir à l’intérieur du corps humain comment ça bougeait à l’intérieur. Je disais aux interprètes : « essayez de faire bouger vos organes ». Il y a aussi une source d’inspiration qui est déjà à l’œuvre dans Folie (1989). Les deux chorégraphies sont connectées. Nous sommes vêtus de linges blancs, on retrouve le même toucher, le même « dévorant », le même miroir déformant des corps, une forme de logique illogique à laquelle j’ai toujours aspiré. Cet opus correspondait à la fin de moments de perdition, comme si, soudain, j’étais retombé sur mes pattes. Et grâce à Ecorchés vifs, j’ai rencontré celle qui est devenue une grande amie, l’actrice Geneviève Page, qui vient de disparaître.

DCH : Quel est le moteur de cette création ?

Claude Brumachon : La création vient de quelque chose qui nous tourmente profondément. Et d’un seul coup, tout se met en place, comme dans un puzzle. En réalité, nous avons tous, deux ou trois obsessions, qui nous préoccupent, et c’est la matière de toutes les pièces que nous cherchons sans cesse à développer, à remettre sur le métier, à creuser. Mais au fond, nous tournons toujours autour de la même problématique. Au Musée Bourdelle, ça s’est fait très vite. Ce n’était pas laborieux, ni difficile, la pièce est sortie comme on débarrasse une statue de sa gangue de marbre, comme une coalescence. C’était une pièce organique, viscérale, qui correspondait à ma vision des sculptures de Bourdelle, opulentes et déchirées. J’avais envie d’embarquer le public dans ce rituel, de les emmener dans ce cheminement. À cette époque, il n’existait pas tant de spectacles déambulatoires dans les musées.

DCH : Quelles sont donc ces obsessions qui vous travaillent ?

Claude Brumachon : Ça a toujours été l’obsession de la chair, du pulpeux, du sensuel, ça m’a toujours préoccupé, occupé, animé, pulsé. On me comparaît à un ogre. Il y a de ça. C’est essentiel pour moi, une sorte de combat, d’appétence de la vie ou de vibration du vivant, de ce qui fait palpiter. Je suis toujours à l’affût de cette sensation. Mais ça peut aussi me ronger.

Galerie photo © Laurent Philippe

DCH : Allez-vous la modifier pour cette reprise ?

Claude Brumachon : La question reste toujours ouverte. Quand une pièce a évolué naturellement, faut-il la transformer ? Faut-il la garder telle quelle ? De fait, la distribution est la clef des ces métamorphoses – ou pas. Dans cette reprise, il y a des piliers comme Steven Chotard, Elisabetta Gareri, Anne Minetti, Martin Mauriès, et puis de jeunes danseurs et danseuses. Peut-être Benjamin Lamarche et moi, pour une petite apparition… Pour donner les racines, même avec le corps un peu brisé d’aujourd’hui.  Car j’ai encore en moi l’essence de la pièce, la vibration, le volcanisme nécessaire. Ne serait-ce que pour les gens qui l’ont déjà vue, qui s’en rappellent et viennent la revoir.

Galerie photo © Laurent Philippe

DCH : Quel est votre regard sur cette œuvre aujourd’hui ?

Claude Brumachon : Au bout de quarante ans de carrière, et un nombre de créations conséquent, un peu trop sans doute, certaines reviennent : Folie, Indomptés, Écorchés Vifs… Bien sûr, j’ai envie de les reprendre car je sens que dans celles-là, il y a la racine, l’âme, de quoi réfléchir. En me retournant sur l’ensemble de mes pièces, je sais bien que par moments, j’ai triché, parce que le système, la curiosité d’accepter certaines propositions, le fait d’être embarqué dans un projet… Chaque créateur a ses points culminants. Écorchés vifs est une partie importante de mon parcours. Il reflète mon processus créatif et mon désir de continuer à créer et à innover.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Écorchés vifs Le 18 mai 2025 à 18h30, les 20, 21 et 22 mai 2025 à 19h30. Musée Bourdelle.

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