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À Chalon, le festival « Instances » 2015

Instances 2015 joue la carte de la découverte, voire du pionnier. L’Irlande, contrée mythique où les liens entre l’homme et la nature restent particulièrement tonifiants... L’île sous les tempêtes est à l’Angleterre ce que le Québec est à la France : une terre où les écrivains brassent l’air du grand large, où les horizons n’ont pas de limites.

Comment se porte la danse contemporaine, au pays de Riverdance ? Clairement, la recherche chorégraphique y reste une affaire de la capitale, donc urbaine. Est-ce à dire que les chorégraphes dublinois adoptent les mêmes langages que leurs collègues entre Bergen et Lisbonne ? Ou bien peuvent-ils nous apporter une note singulière ?

Instances permettra d’en savoir plus. Le festival offre l’occasion unique de plonger dans l’univers irlandais et de le comparer à la scène française. Cette édition du festival est scindée en deux, da la façon la plus claire et nette qui soit. Deux jours pour la France, deux pour l’Irlande. Un pas de deux, avec deux jours pour chaque camp.

Difficile d’imaginer deux scènes chorégraphiques plus opposées que celles de l’Irlande et de la France, en tout cas au vu des choix opérés par Philippe Buquet, directeur de l’Espace des Arts et du festival Instances. La remarque concerne avant tout la sélection « française » qui laisse croire qu’il s’agit d’une volonté de jouer des contrastes, du moins quand on constate que les deux univers qui se retrouvent à Instances cachent avant tout un clivage d’au moins une génération en danse contemporaine.

Ici et là

Ici, l’Irlande. Avec une scène encore balbutiante, encore à l’écart du grand melting pot des métropoles du continent, encore peu polyglotte. Là, le grand brassage, où on ne trouve pas une seule production qui ne porte pas le sceau de la liberté de circulation, du networking ou des migrations historiques.

"Bastard Amber" © Luca Truffarelli

Mais le milieu de la danse irlandaise finira par se mélanger avec celui du continent, ce n’est qu’une question de temps. Déjà on trouve, en la personne d’Hélène Cathala, une chorégraphe française en tant qu’interprète dans Bastard Amber de Liz Roche. Sans parler de la nomination de Benjamin Perchet comme directeur du festival de danse de Dublin. L’ancien bras droit de Guy Darmet et Dominique Hervieu à Lyon relève le défi de créer un pont, fut-il aérien, entre Dublin et l’axe Paris-Bruxelles-Berlin-etc. On trouvera Perchet aux côtés des chorégraphes irlandais invités pour une rencontre avec le public, le jour de clôture, entre les deux spectacles irlandais de la journée.

Day one : Le groupe

Qu’y a-t-il donc à voir? Tout commence par Clan, création mondiale d’Herman Diephuis. Clan interroge ce drôle de phénomène qui veut que plus on est collectivement en danger de foncer dans un mur, plus on fait comme si tout allait bien. On danse sur un volcan, on danse quand le Titanic coule. C’est party ! Une grande fête avant une grande chute, c’est que nous promet Diephuis, en conclusion d’une résidence de création à l’Espace des Arts.

Second spectacle de la journée d’ouverture, Tenir le Temps de Rachid Ouramdane, créé en juin dernier à Montpellier Danse et fort de ses seize interprètes cosmopolites, met en rapport les phénomènes météorologiques conditionnés par le changement climatique et les comportements collectifs, le tout augmenté par l’impact de la musique répétitive de Jean-Baptiste Julien. Des structures, et encore des structures. Structures répétitives exprimant peut-être le désir de saisir ce qui nous échappe. Tenir le temps, tenir cette pièce, avant son passage au Théâtre de la Ville en février 2016.

"Tenir le Temps" de Rachid Ouramdane © Patrick Imbert

Day two : L’individu

Et quel individu ! Une élue même, Mon élue noire. Mise en scène par Olivier Dubois sur Le Sacre du printemps de Stravinsky, Germaine Acogny évoque la violence du regard européen sur les habitants de l’Afrique à l’époque coloniale. Quand Acogny roule de sa mécanique et met en jeu ses muscles, c’est un pied de nez à tous les stéréotypes, qu’ils concernent les femmes, les Africain(e)s ou les identités chorégraphiques.

"Mon élue Noire" © François Stemmer

On enchaîne avec Guerrieri e amorosi d’Edmond Russo et Shlomi Tuizer, a priori un duo mais en vérité un dialogue entre deux solos, une mise en abime de l’individu dans son dédoublement, peut-être un hermaphrodite, pris en tenaille entre amour et haine de soi, de l’autre et de son alter ego. C’est dire que la question de l’individu dépasse ici celle des identités collectives.

"Guerrieri e amorosi" © Agathe Poupeney

La différence entre la danse contemporaine en France et la scène irlandaise tient en ceci : Diephuis est né à Amsterdam, Rachid Ouramdane à Annecy, de parents algériens. Tuizer est Israélien, Russo est Italien. Sans parler de la rencontre entre Dubois et Acogny, la Béninoise ayant travaillé avec Béjart et construit l’Ecole des Sables au Sénégal.

Ici, le brassage est devenu une normalité, au plus grand bénéfice de la France qui en tire moult gloire autour du globe, partout sauf dans les têtes de quelques arriérés aux arrière-pensées politiques, liés à une droite toujours plus extrémiste. Par contre, ce serait un vrai défi de trouver un chorégraphe irlandais qui ne soit pas né en Irlande, de parents irlandais et travaillant avec des danseurs irlandais, du moins en grande majorité.

Jours trois et quatre : Totally Irish!

Mais à Dublin, le désir est là  de sortir de la condition insulaire. Déjà, pour suivre une formation en danse contemporaine, il faut avoir envie de prendre le large. L’option la plus proche est bien sûr l’Angleterre, mais les chemins des uns et des autres passent par l’Europe entière, de Barcelone à Berlin, d’Amsterdam à Uzès. Certains travaillent ensuite en Chine, en Mexique ou à New York.

Après tant de dépaysement, l’appel des origines reste puissant. D’autant plus qu’en matière de danse, à Dublin, tout est encore à construire, dans l’excitation d’aller de l’avant, et c’est justement ce qui a séduit Benjamin Perchet qui relève le défi de tisser des liens entre le festival de danse de Dublin et le paysage français.

Le festival Instances, sous la direction de Philippe Buquet, présente cinq chorégraphes irlandais, dont un d’Irlande du Nord, à savoir Dylan Quinn, fondateur du Dylan Quinn Dance Theatre. Les autres viennent de Dublin : Liv O’Donoghue, Aoife McAtamney, Philip Connaughton et Liz Roche.

"Ten" de Liv O’Donoghue © Luca Truffarelli

Après avoir été appelé Celtic Tiger entre 1995 et 2006 (mais sans que cela ne profite à la danse), ayant traversé une crise à partir de 2007, l’Irlande se rebiffe. Peut-être que la danse sera cette fois comprise comme un art qui correspond particulièrement à des nations vivant cachées, dans le désir secret de se rappeler à la mémoire du monde... L’Irlande est bien plus que ses pubs !

Thomas Hahn

Instances 2015 Du 17 au 20 novembre 2015

www.espace-des-arts.com

 

 

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