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Chaillot 19/20 : Traditions et utopies

Pour la 99e saison à Chaillot, Didier Deschamps, son directeur, parle de « réenchanter nos vies et le monde », une mission qu’il aborde entre Cunningham, Brown et plus de liberté d’inventer, proposée aux artistes actuels.

La brochure 2019/2020 de Chaillot - Théâtre National de la Danse n’en touche pas un mot. Et pourtant, c’est impressionnant: Ce lieu si historique entame sa 99e saison en tant qu’hériter direct du Théâtre National Populaire, fondé en 1920 par Firmin-Gémier – et nous voilà précisément au début de la saison 19-20 ! Ce centenaire à venir  ce n’est pas un simple fait statistique, mais un fait lourd de sens. Les lieux comme le Palais de Chaillot incarnent une mémoire qui les protège et les inspire, chaque année un peu plus. En Asie, on peut raser un théâtre construit il y a peu, pour en ouvrir un autre. A Paris intra muros, de tels actes sont rarissimes.

On a en effet rasé le Palais du Trocadéro en 1935, pour fautes architecturales graves. A la place, on a construit l’actuel Palais de Chaillot, et personne ne songe à le remplacer par un palais nouveau. La mémoire des lieux est précieuse et contrairement au Palais du Trocadéro, celui de Chaillot incarne des valeurs universelles. Pourtant, les reproches qu’on faisait à la salle de spectacles du Palais du Trocadéro ne sont pas si différentes de celles qui vont mener à la rénovation de la salle Jean Vilar à Chaillot, à partir de 2022. Des années de travaux sont à prévoir pour une remise aux normes, nécessaire pour pérenniser l’exploitation de la salle et pour en augmenter le confort. C’est le prix à payer pour le privilège de travailler dans un lieu du patrimoine. Et pour en savourer l’histoire, recommandons ici une fois de plus le livre documentaire Chaillot Palais de la danse (lire notre article)

Accueillir et réunir

D’autres contraintes liées au site historique passent moins bien. Didier Deschamps observe qu’il est obligé de soumettre les activités du théâtre à des règles « en contradiction avec notre mission, de rassembler le public dans un lieu du patrimoine. Du temps de Jean Vilar, il était possible d’accueillir 1.500 personnes dans le grand Foyer. Aujourd’hui, la jauge est limitée à 450. » Pourtant l’envie de Deschamps est de « donner envie de séjourner dans le théâtre » et de répondre au mieux aux attentes du public qui se sont exprimées au cours du « Grand débat ». Il faut donc encore et toujours travailler les relations avec le public, dans l’esprit et la tradition du Théâtre National Populaire : « Etre plus accueillant encore ». Ce qui est, bien sûr, aussi une question tarifaire. « Nos tarifs à huit euros pour les jeunes et les bénéficiaires de minima sociaux concernent les mêmes catégories de places que pour les tarifs les plus élevés », souligne Deschamps. Et la mission Chaillot en partage avec les habitants de deux quartiers du XVIIIe arrondissement, lancée la saison dernière, continue et donnera lieu à des échanges et des impromptus présentés à Chaillot et dans les quartiers. Œuvrant à réduire les lignes de conflit qui divisent les sociétés entre elles, Chaillot a paradoxalement fait les frais du manque d’égalité et d’harmonie, avec de multiples annulations de spectacles suite aux manifestations des Gilets jaunes. Une raison de plus pour chercher à unir au lieu de diviser.

Quatre grandes compagnies pour deux hommages à Cunningham

Comment se situer dans la lignée des utopies sociales et culturelles françaises et chercher en même temps les voies de l’avenir? Chaillot fête les 50 ans de création de Trisha Brown et le centenaire de la naissance de Merce Cunningham, mais part aussi sur les voies de la création virtuelle et numérique, avec Gilles Jobin et Adrien M & Claire B. Ce dialogue-là est aussi important que la diversité culturelle et géographique. Et la diversité est, selon Deschamps, le maître-mot de cette programmation, avec 50% de spectacles étrangers, ce que souligne aussi la présence de trois temps forts, consacrés au flamenco, à l’Afrique et à Merce Cunningham.

Justement, le centenaire de l’Américain (1919-2009) souligne la dimension historique de toute mission à Chaillot et donne un sens particulier au fait que le théâtre accueille l’un des événements principaux de la commémoration, pour un programme où l’on verra le Ballet de l’Opéra de Paris, l’Opera Ballet Vlaanderen et le Royal Ballet de Londres, chaque troupe interprétant une œuvre de Merce. A cette soirée s’ajoute celle du Ballet de Lorraine qui fait revivre deux pièces du maître et une création de Petter Jacobsson et Thomas Caley, inspirée du peu que l’on sait de Four Walls de Cunningham, créé en 1944 et oublié depuis.

Cinq CCN, sept créations, six artistes associés

Le Ballet de Lorraine est le premier de cinq CCN présents au cours de la saison. Suivront Kader Attou (La Rochelle), le Malandain Ballet Biarritz, Christian Rizzo (lire notre critique) et Thomas Lebrun (lire notre entretien) . Thierry Malandain offre même la première de La Pastorale, sur la symphonie de Beethoven. Mais Didier Deschamps ne compte pas en tirer un orgueil particulier. Une pièce est une pièce, elle s’adresse à son public et celui-ci l’appréciera, en débattra, s’en inspirera… Chaillot lui suggère de regarder la danse pour ce qu’elle est, sans prêter attention aux autres facteurs liés à une sorte de marché de l’art qui existe aussi en danse. Il n’y aura donc « que » sept créations, à commencer par le spectacle d’ouverture. Philippe Decouflé y suggère que Tout doit disparaître, où il invite le public à une déambulation libre à travers le théâtre, pendant jusqu’à cinq heures, autour d’extraits de ses pièces créées entre 1984 et 2016.

Decouflé est donc naturellement le premier des six artistes associés à dévoiler sa nouvelle création. Jann Gallois prendra la relève en octobre avec Samsara, une pièce pour sept danseurs. Une vraie création et donc très attendue. Que font les autres? Après Montalvo, Rocío Molina signe elle aussi un grand format, une performance de trois heures avec de nombreux artistes invités, un programme en préfiguration d’une création qui durera une nuit entière et pour laquelle Molina reprend le titre du film qui lui a été consacré par Emilio Belmonte en 2017: Impulso. Un autre spectacle au format non conventionnel est en vue quand Lia Rodrigues recrée son fabuleux Pororoca avec les danseurs de la compagnie norvégienne Carte Blanche. Emanuel Gat présente sa pièce Works et Damien Jalet, qui rejoint le cercle des artistes associés, vient avec Vessel, une pièce sous forte influence japonaise. Parmi les autres créations en vue, citons surtout celle de José Montalvo, une sorte de cabaret onirique haut en couleurs qui sera à l’affiche pendant plus d’un mois, d’avril à mai 2020.

Aucun temps mort en cette saison, grâce à une série de retrouvailles. Josette Baïz par exemple, cette fois avec les danseurs professionnels de la Compagnie Grenade, en reprenant le rafraîchissant Kamuyot d’Ohad Naharin. Ou Tatiana Julien avec Soulèvement (lire notre critique) tout comme Anthologie du cauchemar de Système Castafiore (lire note critique) ou VR_I de Gilles Jobin,ou encore Multiple-s de Salia Sanou (lire notre critique). Retrouvailles aussi avec des références mondiales comme le Cloud Gate Dance Theatre de Taïwan, Eva Yerbabuena ou Marie-Agnès Gillot. L’ancienne étoile de l’Opéra de Paris participe à une création, commande inspirée de Brigitte Lefèvre, avec Andrés Marín pour laquelle Christian Rizzo créera la scénographie et les costumes !

Une brochure-expo, augmentée, connectée...

Plus plus de détails et encore plus d’artistes, on vous renvoie volontiers à la brochure de saison de Chaillot - Théâtre National de la Danse, puisque celle-ci est une brochure augmentée, et ce de deux manières. Primo, il suffit de scanner la page concernant un spectacle avec son smartphone, pour découvrir des vidéos, des photos et des interviews (après avoir téléchargé une application). Voilà ce qui fait gagner du temps, puisque vous êtes dispensés de fouiller sur le site internet de Chaillot, sur Google etc. Ce qui fait d’autant plus sens que la brochure ne montre pas d’images des spectacles. Elle dévoile, au contraire, l’œuvre d’un photographe performatif newyorkais: Ben Zank. C’est la deuxième année consécutive (après Charles Fréger en 2018/19) que Chaillot permet ainsi de découvrir un artiste qui met en scène le corps en mouvement et en rapport avec son environnement. Ben Zank vit et travaille dans le Bronx et photographie des performers, sans dévoiler leurs visages, dans des situations étranges, dégageant un sentiment absurde,de l’inquiétant au burlesque. Plus qu’une brochure de saison: un collector !

Thomas Hahn
www.theatre-chaillot.fr

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