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« Bruissements de pelles » de Satchie Noro et Dimitri Hatton

Sur scène comme dans la vie, mettre côte à côte un homme et une femme, et entre eux des outils, déclenche immédiatement mille connotations de genre. Satchie Noro, danseuse et circassienne, et Dimitri Hatton, clown et comédien, en développent l'expérience dans leur duo Bruissements de pelles. En Avignon, cela commençait sur le trottoir devant le théâtre, par l'édification d'une incroyable sculpture vivante d'outils de toute sorte installés en équilibre, aussi magnifique qu' instable, à même le corps du comédien.

Tout ce fatras une fois tombé au sol, cela se poursuivait en configuration conventionnelle scène-salle. On le précise, car Bruissements de pelles a été initialement conçu pour la déambulation de plein air. Non pour la scène. Pareille adaptation n'est pas sans conséquences. On voudra bien y chercher une source possible des quelques réserves que nous inspire la pièce : soit une accumulation excessive d'actions, sans respirations rythmiques suffisantes. Et surtout un jeu d'acteur exagérément appuyé, de la part du comédien (les conditions de transmission à la rue ne sont pas les mêmes qu'en salle).

Ce comédien interprète un benêt, terriblement maladroit dans son impuissance à canaliser les débordements d'une libido chahuteuse. La danseuse opposera à ses assauts une résistance aussi impassible que déterminée. Jusque là il y aurait matière à une aimable comédie, bien dans l'air du temps des questions de genre. Et il y a de ça : Bruissements de pelles est extrêmement plaisant, déluré, parfois aux confins du burlesque.

Il y a donc une pelle au milieu de cette paire. Un objet transitionnel. Lequel se charge d'un épatant effet gigogne sur le plan dramaturgique. On le disait pour démarrer : un homme, une femme et un outil, et voilà déjà un gros paquet de clichés de genre à mettre en action. Rajoutons, s'il en est besoin, la connotation toute phallique qui s'attache à un manche de pelle, et c'est une couche de plus. Le duo ne se privera de l'étaler un peu. Et songeons encore un instant au sens argotique de "rouler une pelle".

Mais enfin, il y a beaucoup plus, et beaucoup mieux, dans ce duo. Il y a l'incroyable inventivité chorégraphique de tout ce qui peu s'imaginer de physique, de concret, dans le maniement d'un objet partenaire. En l'occurence une pelle. Qu'elle serve de chaussure, de bascule, de catapulte, qu'on saute par-dessus, qu'on s'enroule en liane sur son manche, que sa partie métallique serve de coiffe, etc, etc.

C'en est à l'infini. L'objet dérive en agrès d'un cirque parfois proche de l'acrobatie. Mais pas que. Il y a là tant et tant d'imagination et d'écriture du mouvement, fussent-elles joueuses avant toute chose, qu'une magnifique densité poétique vient à se dégager, de ces potentiels soudains inouïs que le béotien n'avait jamais effleuré en esprit dans sa vision prosaïque de l'outil utilitaire.

A ce stade, il est autant stimulant que merveilleux, qu'une simple pelle parvienne à remuer tant et tant de brassées de rêves et d'idées.

Gérard Mayen

Spectacle programmé par La Belle scène Saint-Denis (à l'intitiative du Théâtre Louis-Aragon de Tremblay-en-France et du TGP – Saint-Denis), dans le cadre du festival Avignon Off 2016.   
 

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