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Biennale de la Danse de Lyon : « Omma » de Josef Nadj

Longuement attendue, la création d’Omma a eu lieu au Théâtre de Fourvière. Où Nadj libère le mouvement. 

A Lyon, les bouleversements pandémiques de 2020 ont créé un événement qui ne s’était pas encore produit. Car pour la première fois, les deux grands festivals lyonnais consacrés au spectacle vivant, à savoir la Biennale de la Danse (décalée de septembre 2020 en juin 2021) et les Nuits de Fourvière, ont partagé une partie de leurs programmations. Après Robyn Orlin mettant en scène la chanteuse Camille, on a pu assister à la création, plusieurs fois reportée, de la rencontre entre Josef Nadj et huit danseurs du continent africain, projet particulièrement vulnérable en temps de confinements et fermeture de frontières. La joie du public était d’autant plus palpable au théâtre gallo-romain de Fourvière où une vraie excitation passait des gradins au plateau et vice versa. 

Même sentiment de vivre un instant extraordinaire, pour celles et ceux qui ont suivi l’aventure de Josef Nadj, sur désormais plus de trente ans de création chorégraphique, graphique et plastique. Où l’on n’a jamais constaté de véritables soubresauts ou révolutions, mais plutôt une lente évolution. Fidèle à son regard sur le monde, Nadj a certes su nouer des relations avec d’autres univers, se lier d’amitié avec Dominique Merci dans Petit psaume du matin, le plasticien Miquel Barceló dans Paso Doble, importer en son univers un Japon millénaire et imaginaire (Sho-Bo-Gen-Zo) ou intégrer des danseurs butô (Asobu). Mais jamais on ne l’a vu embarquer pour un voyage comme celui d’Omma, où il change de continent et donne en quelque sorte carte blanche aux interprètes. 

Pour la première fois, Nadj coupe le cordon ombilical avec son système de références et va sur le terrain des autres. Et ce terrain, c’est l’Afrique. Dans Omma, pas d’univers littéraire comme source d’inspiration, mais la rencontre humaine à l’état pur. A moins que contes et légendes africaines n’aient guidé les interprètes dans certains tableaux. Mais ces histoires leur appartiennent. De cultures et de générations différentes, venant du Mali, du Sénégal, de Côte d’Ivoire, des deux Congos ou encore du Burkina Faso, les huit danseurs ne jouent pas de rôles mais apportent leur vécu, leur réalité et leurs rêves pour lancer un feu d’artifice de gestes, de chants et d’acrobaties. 

Si Nadj leur prête, en quelque sorte, son costume « traditionnel », à savoir la silhouette masculine en costume de ville noir, il se met à leur écoute et se contente de mettre en scène, avec beaucoup de sagesse et donc en toute simplicité, la matière apportée par les interprètes, matière faite de leurs liens avec eux-mêmes, avec les rites, les animaux, le travail… Pas question donc de faire d’eux des clones du Serbe de culture hongroise, ni de les coller dans une dramaturgie nadjienne. Au contraire, la rencontre avec le chantre de l’absurde leur apporte humour et liberté. 

Aussi forment-ils un corps collectif, composé de fortes individualités. Les corps peuvent vriller et se courber de manières invraisemblables, et restent pourtant les maîtres du jeu, passant sans transition de moments humoristiques à des ambiances menaçantes, jonglant de leurs corps comme de leurs voix en parlant ou en chantant, se moquant d’eux-mêmes ou s’engageant sur des rythmiques multiples, percussives ou jazzy. Les corps telluriques sur des jambes en apesanteur, ils bondissent nerveusement, miment un combat de titans ou de dieux et tissent des motifs gestuels vifs, grotesques ou répétitifs, seuls, à plusieurs ou en groupe. 

Galerie photo © Severine Charrier

Tout est fait pour mettre en valeur les interprètes, sans fard et sans décor. Le plateau nu suffit amplement à ces corps qui sont ici la scénographie-même, car créant lignes et formes qui structurent l’espace, en complicité avec les lumières. Très structuré et pourtant libre comme le vent, Omma  ne construit aucun récit et enchaîne les tableaux, mettant l’accent sur le(s) rythme(s), pour être tantôt dans l’immédiat, tantôt dans l’éternel. Mais avant tout, dans l’instant. Et soudain, le mot de « danse » pourrait adéquatement décrire un spectacle de Nadj, puisqu’il s’agit ici de fêter le mouvement qui n’a plus de comptes à rendre à aucune construction narrative. Sa première revue, en somme. Qu’annonce-t-elle pour son parcours ultérieur ? 

Thomas Hahn

Vu le 10 juin, Lyon Théâtre de Fourvière

Programmation conjointe des Nuits de Fourvière et de la Biennale de la danse de Lyon

Chorégraphie : Josef Nadj

Interprètes : Djino Alolo Sabin, Timothé Ballo, Abdel Kader Diop, Aïpeur Foundou, Bi Jean Ronsard Irié, Jean-Paul Mehansio, Marius Sawadogo, Boukson Séré
Collaboration artistique : Ivan Fatjo
Lumières : Rémi Nicolas
Musiques : Tatsu Aoki & Malachi Favors Maghostut, Peter Brötzmann & Han Bennink, Eureka Brass Band, Jigsaw, Lucas Niggli, Peter Vogel

La tournée : 

www.josefnadj.com

 

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