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Bien fait : Pernette et Sorignet

Nathalie Pernette engage son corps dans les énigmes d'un Homme nouveau en perte. Pierre-Emmanuel Sorignet ne transforme pas vraiment son essai sur le vieillissement en danse.

Pierre-Emmanuel Sorignet n'est pas n'importe qui. Cela se sentait dans le bruissement particulier du public, rassemblé en nombre pour la soirée d'ouverture de Bien fait à Micadanses. Ce module de programmation en est parvenu à sa troisième édition. Il ne prétend pas au titre de festival. En quelques soirées de rentrée, il s'en tient à montrer les travaux de fidèles de ce lieu. Ce qui est déjà très bien. Dont Sorignet, premier à l'affiche.

On sait l'apport formidable de ce sociologue, à travers son ouvrage Danser – Enquête dans les coulisses d'une vocation. En 2010, sa publication vint bousculer quantité de non dits et idées reçues sous-tendant le métier de danseur.se. Fait peu commun : le brillant universitaire est également interprète en danse. Non des moindres ; cela par exemple aux côtés des frères Ben Aïm.

A partir de quoi, il est piquant de découvrir Pierre-Emmanuel Sorignet chorégraphe débutant. Le trio Les passagers (ou aussi bien quartet impliquant son créateur des sons au plateau) garde la fibre de l'essai et de l'étude. Il a son docte thème : le vieillissement en danse. Il s'est nourri, pour ce faire, d'entretiens inspirés de la méthodologie sociologique.

Notons toutefois que, fort heureusement, ce thème ne revêt plus une nouveauté confondante. La présence de personnes avancées en âge n'est plus si rare sur les plateaux de danse. Mais surtout, cette présence a cessé, le plus souvent, de faire question en soi. Des danseur.ses viennent s'exprimer indépendamment du modèle du beau jeune corps séducteur et triomphant. L'âge – en termes de potentiel physique – n'y a plus rien à voir. On peut voir là une belle victoire symbolique de la danse contemporaine, embrassant une complexité expressive qui ne saurait se satisfaire d'une réduction techniciste des corps au rang d'outils virtuoses.

C'est peut-être cela qui embarrasse Les passagers. On peine à voir s'y dégager une forte ligne dramaturgique, porteuse d'un propos incisif. On y voit trois hommes, d'âges divers, dans de belles évolutions apaisées, pétries d'écoute, sur le plateau. C'est riche en présence, aux franges de la théâtralité ici, avec un zeste de danse-contact là, du jeu robotique ailleurs, une fantaisie orale un instant, et toujours des soulevés précautionneux.

Voilà qui est doux, flottant, intelligent, pour recomposer incessamment un agencement inter-individuel, comme il en va d'un vrai bon travail d'atelier au studio. C'est également inter-générationnel. Mais cela n'y change pas grand-chose. Sur le fond, on se réjouira quand même d'y avoir perçu ce dont on était déjà tout à fait convaincu, mais qu'on se plait à éprouver encore et encore : soit le fait que la force d'un geste ne réside pas dans son niveau de prouesse, mais dans sa qualité d'intention authentique.

Après quoi, on a d'abord beaucoup craint de la performance de Nathalie Pernette dans son solo Ikche Wishasa – L'homme nouveau. Elle s'y présente au centre d'un cercle dessiné au plateau par une guirlande de lumières de pacotille. Certain.es spectateur.ices ont pris place au plus près, sur des coussins au sol. La pièce est très fermement structurée par la conjonction de deux motifs.

D'une part : l'accoutrement de la danseuse, engoncée dans une gangue invraisemblable de couches, et de couches, et de couches de vêtements de facture grossière. L'impression première renvoie au registre du grotesque. La libre interprétation est des plus ouvertes, allant du gnome aux personnages totémiques de carnavals montagnards archaïques, du clown de cabaret au SDF en phase sibérienne. D'autre part s'entend, en voix off, un montage d'extraits du Manifeste du Parti communiste (Marx-Engels 1848) et de chants choraux de la révolution russe.

C'est d'abord le lien entre ces deux motifs qui laisse très perplexe. On tente de se raccrocher, sans plus d'assurance, à quelque réminiscence de la tradition centre-européenne du cabaret expressionniste de critique sociale et politique. Mais c'est mince. Nathalie Pernette s'emploie à se défaire, couche après couche, et mimique sur mimique, de son invraisemblable cocon vestimentaire. Mais alors on lui trouve une gestuelle toute axée sur l'image, ignorant toute notion d'intériorité, de réflexivité perceptive, ou d'empathie kinesthésique avec le spectateur.

Or, une transmutation se produit bel et bien. La performeuse se compose à travers son action. Peu à peu affranchie de sa chrysalide, elle se reconstitue en présence impliquée à vif. Les signes symboliques se réduisent à un jeu serré de tatouages sur sa peau. Et l'artiste semble en proie au cri muet du défi d'être, dans son parcours entier de gestes, son engagement tout entier. C'est une (re)naissance, qui laisse devant un paysage très ouvert de possibles interprétations.

Parmi d'autres laissées à notre liberté, nous avons voulu y capter la tension entêtée de ne rien lâcher, et se contorsionner encore, pauvre ver magnifique, au milieu des oripeaux défaits d'un siècle d'utopies émancipatrices à l'état de ruine. Enfin bref, il ne faudrait pas manquer l'essentiel : soit la beauté physique, et éthique, d'une interprète intensément impliquée. Respect.

Gérard Mayen

Spectacle vu le 18 septembre 2018 au Studio May B, Micadanses, Paris.

Prochains rendez-vous de Bien fait : Olivier Bioret – Laura Arend (22 septembre), Lila Derridji – Leïla Ka – Christien et François Ben Aïm (24 septembre), Delphine Demont – Kirsten Debrock & Olivier Soliveret (26 septembre), Jean-Christophe Boclé – Nasser Martin-Gousset (28 septembre).

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