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« BE.GIRL » filmé : Un chef-d’œuvre

La pièce pour 5 B-girls de Valentine Nagata-Ramos est devenue un film de danse d’une qualité inédite. 

La pandémie change tout pour les artistes. Trop de choses, en tout cas. Et pas pour le mieux, on le sait. Mais la danse peut compter sur le soutien de certaines institutions et sur certains talents qui répondent présent. Le Théâtre des Champs-Elysées accueille en ce mois de décembre, en plus d’une série de concerts (musique baroque, Debussy, Ravel…) des compagnies de danse qu’on n’y attendait pas forcément. Voilà presque un petit Suresnes Cités Danse, avec trois pièces où les danses urbaines sont bien présentes, signées Valentine Nagata-Ramos, Amala Dianor et Tarek Aït Meddour. Rendue possible grâce au mécénat de la Caisse des Dépôts, cette trilogie est cependant destinée à la captation visuelle, sans public dans la salle [ tous les détails dans notre article ].

Être B-girl

Lancé le 17 décembre avec BE.GIRL de Nagata-Ramos, le programme danse s’est offert un début en fanfare avec cette pièce qui devait être créée au festival Kalypso. Au Théâtre des Champs-Elysées, la compagnie a enchaîné deux filages en fin d’après-midi pour la captation, et puis un live sur France Télévision – déroulé à haute intensité qui exigeait des cinq danseuses un engagement sans faille. BE.GIRL se déroule dans une ambiance nocturne où les codes de la danse break évoluent vers une abstraction sensuelle et un état de tension qui ne renie jamais le plaisir de danser et d’être ensemble. 

Le titre résume ce paradoxe. La B-girl, la danseuse de break donc, évolue dans un univers masculin, celui des B-boys, les breakers, avec leurs codes très physiques. Entendu comme « Be girl ! »,  il est cependant un appel à revendiquer sa féminité, justement à travers cette danse athlétique. Et ça marche à merveille grâce à la finesse avec laquelle Nagata-Ramos et les interprètes font régner un suspense qui les amène au-delà du show. Très loin, même… Le jeu des jambes au ras du sol, les pieds figés en l’air dans les freeze… 

Tous ces mouvements, toutes ces figures inventées pour faire briller l’individu, dans les battles notamment, sont ici employées au service du dialogue et de la communication entre les protagonistes. On ne danse pas le footwork pour surpasser l’autre, mais pour passer-vers. Ainsi s’écrit une histoire où l’on s’éclaire mutuellement à la torche, où la virtuosité dépasse l’exécution et inclut l’écriture des pas, des phrases et des énergies.

Quand filmer devient un acte vital pour la danse

Mais dans la salle, le public était absent. Quand en ces temps de covid-19, la danse est privée du lien vivant avec son public, le fait de filmer est autrement plus significatif qu’avant. Filmer la danse dépasse l’idée de rendre compte ou de conserver une trace, pour devenir un acte vital. Dans cet état d’urgence, la captation de BE.GIRL réalisée au Théâtre des Champs-Elysées est en ce sens un acte artistique en soi. Nagata-Ramos écrit au sujet de sa pièce : « J’imagine un travail de détail pour mettre en lumière les parties précises du corps que les breakeuses utilisent beaucoup en appui : les mains par exemple pour les pass-pass, les épaules ou haut du dos pour les freezes ou phrases, les pieds pour les top-rock.. »

C’est exactement ce qui se passe, dans le montage réalisé par Sébastien Bergé pour Les Films Jack Fébus. Les moyens employés étaient conséquents. Une caméra pour la totale, au milieu de la salle. Une pour le zoom, à l’avant, côté jardin. Une troisième, mobile, portée par un cameraman qui se déplace dans la fosse d’orchestre et ailleurs, et puis celle qu’on ne découvre qu’à l’écran car elle était cachée dans les cintres. Jouant avec les perspectives, le montage devient une démarche artistique en soi. Une écriture (cinématographique) se superpose à une autre (chorégraphique), presque comme si la danse avait été écrite par le scénariste-réalisateur. Très organique, la rencontre entre danse et cinéma recrée le suspense d’un film d’aventure, voire d’un film noir, ce qui n’a plus rien à voir avec une simple captation vidéo. 

Ce qui est d’autant plus remarquable que l’équipe a disposé de peu de temps pour produire ce film de danse, qui est – et la bonne nouvelle est là – visible sur culturebox de France Télévision [lien]. Voilà un véritable hommage à la danse hip hop féminine, à travers cette pièce créée en résidence dans un grand nombre de structures, dont Micadanses, le Centre National de la Danse et le CCN de Créteil. La réussite exceptionnelle du films de BE.GIRL est de bonne augure pour la suite, notamment la captation (en ligne à partir du 5/1/2021) de The Falling Stardust d’Amala Dianor [lire notre critique] avec la sculpture suspendue signée Clément Debras, qui appelle à une nouvelle poussée de créativité dans le travail avec la caméra. 

Thomas Hahn

Travail de captation observé le 17 décembre 2020, Paris, Théâtre des Champs-Elysées

Le film : https://www.france.tv/spectacles-et-culture/theatre-et-danse/2166551-be-girl-au-theatre-des-champs-elysees.html

https://www.caissedesdepots.fr/mecenat/danse

 

 

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