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Ballets de Monte-Carlo : « Roméo et Juliette »

Donné dans les Jardins de l’Orangerie à Versailles, le Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot trouve un cadre somptueux.

Le soleil disparaîtra juste à la fin du premier acte. À la fin de la scène du Balcon, comme si l’astre tutélaire de Louis XIV qui fit construire ce Jardin de l’Orangerie à Versailles était de la partie ! Auparavant, le Roméo et Juliette créé par Jean-Christophe Maillot pour les Ballets de Monte-Carlo aura eu comme source d’éclairage supplémentaire cette lumière rose et mordorée du couchant, contribuant à faire des décors d’Ernest Pignon Ernest, des costumes signés Jérôme Kaplan, et des lumières de Dominique Drillot, l’écrin parfait de ce ballet créé il y a vingt ans (en 1996) et repris aujourd’hui.

 

Loin des versions empesées et ampoulées du drame Shakespearien, ce Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot est une œuvre sur la jeunesse. Elle en a l’audace, la spontanaéité et la fraîcheur, comme le souligne la version musicale de Valery Gergiev choisie par le chorégraphe dont le tempo ne fléchit pas plus qu’il ne s’apesantit sur la partition de Prokofiev. C’est suffisamment rare pour être souligné.

Une version rapide donc, presque condensée, des amants de Vérone. Comme le décor, l’intrigue, remaniée par Jean-Christophe Maillot est aussi sobre qu’efficace. Pas de roman sociétal ni psychologique, pas de regard historique sur hier ou aujourd’hui, juste l’événement amoureux avec sa puissance éclatante et dévastatrice. L’idée maîtresse qui consiste à placer l’ensemble de la chorégraphie de trois-quarts en suivant les diagonales exalte la scénographie tout en allégeant la mise en scéne.

Tout commence par un flash back : le tourment de Frère Laurent (Alexis Oliveira) qui – après le dénouement dramatique – peut mesurer à quel point l’enfer est pavé de (ses) bonnes intentions. Par cette astuce toute littéraire – ou cinématographique, toute l’intensité de la pièce est ici concentrée d’emblée. Ce Roméo sera donc placé sous le signe d’une tension constante dans laquelle le ballet prend place. De ce fait, les joutes entre jeunes Capulets et Montaigus du début deviennent presque des moments de respiration.

Le talent de Jean-Christophe Maillot est de savoir mener la narration à l’intérieur d’un vocabulaire néoclassique rigoureux. Chaque geste est signifiant, car chargé d’intention. Il n’y a pas un regard ni un mouvement vide de sens. À aucun moment, la chorégraphie ne cède à une sentimentalité un peu sucrée. Même les moments les plus sensuels s’en tiennent à l’éffleurement plutôt qu’à des portés impressionnants. Question de rythme également.

À ce titre, les rixes entre bandes sont des moments tout à fait savoureux. Le trio entre Roméo (Lucien Postelwaite), Mercutio (George Oliveira) et Benvolio (Mikio Kato) est à ce titre un vrai petit bijou. Tybalt (Gabriele Corrado) et Pâris (Ediz Erguc) ne sont pas en reste quand ils font leurs numéros de coqs plutôt prétentieux. Nerveuses à souhait, les scènes d’ensemble sont fulgurantes, n’hésitant pas à user de l’arrêt sur image et du ralenti. Les femmes ne sont pas en reste. Les pointes acérées et le corps effilé de Lady Capulet (Mimoza Koike) disent déjà tout du personnage. La nourrice (Maude Sabourin) est triviale à souhait. Rosaline avec l’allonge de ses bras et de ses pas, campe une femme sensuelle et peut-être vénéneuse.

Reste Juliette (Noélani Pantastico). Absolument merveilleuse dans son ingénuité, elle entraîne Roméo dans une chorégraphie d’émois palpitants, de caresses furtives, d’hésitations vite oubliées. Jean-Christophe Maillot a su mettre en gestes toute la palette des premiers frissons de la passion, qui mêle dans un même mouvement tendresse et sensualité vertigineuse.

Le deuxième acte continue sur cette lancée. Après un intermède mené par une joyeuse petite bande de marionnettes qui racontent de façon à peine voilée les ressorts du drame qui va suivre, les épisodes meurtriers occupent bientôt le plateau. Ici pas de cliquetis d’épées ou de poignards, le chorégraphe préfère la bagarre qui tourne mal, la violence impossible à conjurer par ces adolescents, trop jeunes, trop épris d’absolu pour savoir s’arrêter à temps. Impossible de choisir son camp dans cette bataille qui ne laisse que des survivants éffondrés. La mort, qui peu à peu envahit le plateau où s’amusait la jeunesse semble désormais inéluctable.

Tous les danseurs, que certains d’entre vous ont pu admirer en répétition lors de notre streaming, sont excellents, précis, éloquents dans leurs mouvements et leurs expressions. Vingt après sa création, ce Roméo et Juliette n’a rien perdu de son charme, ni de son actualité.

Agnès Izrine

23 juin 2015 Jardins de l'Orangerie du Château de Versailles, dans le cadre des Nuits de l'Orangerie

 

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