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Ballet du Capitole : « Don Quichotte » de Kader Belarbi

On mesure le chemin parcouru en une vingtaine d’années par le ballet toulousain à ceci : à la fin des années 90, pour incarner les rôles principaux de Don Quichotte, on ne pouvait faire autrement que d’inviter des étoiles extérieures à la troupe, mais en 2017 il est possible d’aligner trois distributions maison pour six représentations, soit une quinzaine de solistes (dont trois Kitri et trois Basilio), tous plus convaincants les uns que les autres.

Sous la direction de Nanette Glushak, puis celle de Kader Belarbi depuis quatre ans, la compagnie n’a donc pas cessé de gagner en qualité. Il lui reste cependant à se construire une identité, aussi marquée que celle d’un Ballet de l’Opéra de Lyon ou de l’Opéra de Paris, qui font, en France, figures de modèle.

Kader Belarbi tente de lui en donner une en s’inspirant justement de la compagnie parisienne où il fit sa carrière de danseur. On pourrait la définir comme une alliance des contraires, entre tradition assumée et modernité revendiquée. D’un côté il affiche Maguy Marin, William Forsythe et David Dawson, de l’autre il chorégraphie ses versions des canons classiques, Le Corsaire (2013), Giselle (2015) et Don Quichotte. Sur cette dernière œuvre comme sur les précédentes il mène une sorte de dépoussiérage consistant à reprendre l’essentiel de ce qui s’est transmis, à redonner une lecture claire de l’ouvrage, en évitant toute intervention et relecture radicale.

Moins de personnages

Pour son Don Quichotte le chorégraphe a réduit le nombre des péripéties et des personnages afin de rendre le récit plus simple et lisible. En faisant disparaître de la distribution Gamache et le torero Espada, sa version met en scène trois couples principaux : Don Quichotte et son écuyer Sancho Panza, Kitri et son amoureux Basilio, Esteban, le chef des gitans et Mercedes, amie de Kitri. Belarbi conserve cependant les figures traditionnelles de ce ballet « à l’espagnole », toréadors, filles des rues et gitans, ainsi que ses épisodes majeurs librement inspirés du roman de Cervantes, bataille contre les géants, partie de colin-maillard, représentation de théâtre de marionnettes et visions hallucinées de Don Quichotte dans la forêt. Si les connaisseurs de l’œuvre n’ont aucun mal à s’y retrouver, les spectateurs néophytes, qui n’ont pas lu le livret à l’avance, ont toujours un peu de mal à suivre.

Car, même si le chorégraphe gomme les incohérences les plus criantes de l’intrigue, il respecte le déroulement d’un ouvrage élaboré autour de numéros de danse plus que d’une dramaturgie solide. Il a sans doute manqué l’occasion de prendre ses distances avec la tradition en se rapprochant, comme il annonçait vouloir le faire, de la source littéraire. Dans son Ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche Cervantes déconstruit les romans de chevalerie pour inventer une forme moderne de récit romanesque.

Le Don Quichotte de Kader Belarbi aurait pu tirer ce fil de la déconstruction autour de la scène du second acte quand, sur un petit théâtre bricolé, les gitans donnent au « chevalier à la Triste Figure » le spectacle des aventures de Kitri et Basilio. Il est, d’ailleurs, un détail révélateur : par souci d’économie, mais également parce qu’il est attaché à un système de production et de narration chorégraphique, le chorégraphe et directeur de la danse du théâtre du Capitole a inscrit son Don Quichotte dans les décors d’une version antérieure, toiles peintes et objets d’une esthétique surannée qui prennent une place considérable sur le plateau et brident les évolutions des interprètes.

Brillantes distributions

Car ce sont bien les danseurs qui font de ce Don Quichotte une vraie réussite. Je n’en cite ici que quelques noms, choisies dans les deux distributions que j’ai pu voir. Nicolas Rombaut, comme Amaury Barreras Lespinet, incarnent à tour de rôle et avec un égal bonheur un Sancho Panza qui s’éloigne de la caricature pour toucher au burlesque et à la farce. Jackson Carroll endossait chaque soir l’armure de Don Quichotte, menton levé vers des hauteurs inaccessibles et tête perdue de confusion. L’Esteban de Philippe Solano explose de brio et d’élévation, Scilla Cattafesta assumant la sensualité appuyée de Mercedes, tout comme Lauren Kennedy, danseuse d’une grande polyvalence capable d’incarner également une irréelle reine des Naïades. Dans le rôle phare de Kitri, Natalia de Froberville exploite ses exceptionnelles capacités techniques et sa formation à l’école russe trouve à s’exprimer dans les nombreux numéros virtuoses qui émaillent le ballet.

De son côté Maria Gutierrez s’est saisi, une fois encore avec intelligence, de son personnage pour lui apporter un quelque chose en plus. Tant techniquement que dramatiquement elles joue avec les attendus du rôle de Kitri, introduisant dans sa prestation une sorte de regard amusé sur ce qu’elle est en train d’accomplir. Une sorte de second degré de l’interprète au moment même où cette danseuse, soliste au Capitole depuis plus de quinze ans, faisait, dans un rôle qu’elle a choisi, ses adieux à la scène.

Dominique Crébassol

Vu les 20 et 21 avril au Ballet du Capitole de Toulouse

 

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