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« Amour Amour » d’Alloune Diagne et « Doutes » de Cognès Mayoukou

Il y a quelques années, Fatima Ndoye et Alioune Diagne ont rêvé cette sympathique manifestation d’une semaine focalisée sur les artistes émergents du continent africain, le Théâtre Paris-Villette l’a réalisée. Elle a pour nom Génération A et pour provenances, cette année, le Sénégal, le Kenya, la Tunisie, la République du Congo, le Burkina Faso, le Gabon, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Rwanda, la Tanzanie, l’Ouganda. Bref, l’Afrique au sens large ou, si l’on veut, de A à Z. Il va de soi que le Sénégal et la célèbre École des sables de Germaine Acogny qui a pris le relais du Mudra Afrique béjartien est très présent, aussi bien dans l’organisation que dans la sélection. Les soirées sont copieuses, dans tous les sens du terme, qui offrent deux pièces par séance, entrecoupées par un long entracte permettant aux spectateurs de se rafraîchir ou de se sustenter au bar du théâtre avec la cuisine de Véronique Dossetto et les spécialités du chef dakarois Tamsir Ndir. 

Avec Amour Amour, Alloune Diagne a justement voulu rendre hommage à Maurice Béjart sous forme de« méditation » ou de « dialogue entre le ciel et la terre, entre enracinement et ouverture », nous précise la feuille de salle. Le gonze se présente en bonze, assis dos à l’assistance, torse nu, crâne moins que pelu, les membres inférieurs masqués par un jupon noir unisexe tenant du martial hakama. Cette solitude est propice à la prière. Elle a pour support le silence : celui de la salle en haleine ou du moins en attente, celui de l’absence provisoire de tout accompagnement musical ou sonore. Bien sûr, un machino hors champ s’est chargé de fumiger ce qu’il faut pour purifier le plateau. La suite gestuelle ira de l’éveil du corps à une élévation retenue au sol, privée de saltation, sans cure de démonstration, sans besoin d’agitation.

Galerie Photo © Marie Charbonnier

La variation, par conséquent, n’a rien de spectaculaire. Rien de virtuose. Rien même de technique. L’écoulement se fait en douceur, en harmonie, en rythme. Paradoxalement, les pieds, donc aussi les pas, les pas de danse particulièrement, sont peu mis à contribution. Le solo est à base de mouvements de bras, de pliés cubitaux, de levés, généralement exécutés en symétrie. Le leitmotiv est clair, c’est celui d’une, voire des deux mains, portées à l’emplacement théorique du cœur – côté cour. Un passage debout autorise Alloune Diagne à produire des gestes plus amples et même une série de tours en sens antihoraire connotés mevlevi. Cette allusion à la vie spirituelle, à l’expérience d’anachorète, donne sens à la danse, en l’occurrence celui d’une cérémonie rituelle. L’artiste, car Diagne est aussi et surtout plasticien, dévoile au final un de ses gigantesques dessins, comme par hasard non figuratif.

Galerie photo © Marie Charbonnier

Cognès Mayoukou nous a régalé avec sa pochade Doutes interprétée par l’excellente danseuse qu’elle est (aucune incertitude à ce sujet) et un trio de femmes pittoresques, H-Lhyne Bahoumina, Vesna Mbelani et Malonga Ruth. Ce généreux quarteron s’est révélé, franchement dit, irrésistible. Loin de prêcher dans le désert, il se met d’entrée de jeu le public dans la poche. Bien sûr, l’entrée tonitruante des phénomènes depuis le haut des gradins, les apostrophes au spectateur, les altercations entre elles, les rires forcés peuvent, au début du moins, rappeler la danse-théâtre d’une Maguy Marin (autre disciple de Béjart) ou d’une Robyn Orlin. Sauf qu’ici, on n’a pas peur d’y aller, qui plus est avec très peu de moyens mis à disposition par la production.

Elles sont désopilantes, ont un aplomb inédit, un culot monstre, appréhendent la vie comme un farce et non comme une tragédie, jouent de leurs physiques différents, contrastés, mais néanmoins affriolants. Elles ne respectent rien, ni la bienséance ni les canons de la mode ou de la beauté à l’occidentale. Elles défient le public, le prennent à partie, simulent l’hécatombe, au sens de Brassens à propos des gaillardes brivoises, se montrent grivoises, rabelaisiennes, rivalisent, passent aux voies de fait façon Laurel et Hardy. Elles caricaturent le striptease, dansent à l’unisson, façon chorus girls. En prime, nous avons droit à un beau solo de la chorégraphe.

Nicolas Villodre

Vu le 21 juillet 2021 au théâtre Paris-Villette, dans le cadre de Génération A.

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