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« 9 » d’Hélène Blackburn

Ouverture de DanSons avec une pièce sensible, puissante et splendide de la québécoise Hélène Blackburn.

A Bordeaux, le printemps pointe enfin le bout de son nez et une foule compacte profite des premiers rayons chauds du soleil sur les quais qui bordent la Garonne. Mais c’est à Gradignan, au théâtre des Quatre Saisons, qu’a magnifiquement bien débuté DanSONs qui se déroule jusqu’au 23 mars.

Marie-Michèle Delprat, directrice de cette scène conventionnée musique(s), tient depuis toujours à marier chorégraphie et musique. Ce leitmotiv attire un nombreux public friand de découvertes et surtout des élèves qui suivent des ateliers avec les artistes avant les représentations.

Ce fut le cas le 3 mars où plusieurs classes de CM2 étaient présentes pour la première en France de 9 de la québécoise Hélène Blackburn. Les danseurs déjà installés sur le plateau  vont chercher cinq écoliers parmi le public et les font monter sur scène afin qu’ils s’assoient sur de petites chaises blanches. Par le biais de vidéos font apparaitre de jeunes enfants dont on comprend qu’ils sont malentendants et non voyants. Appareillés pour certains, d’épaisses lunettes pour d’autres, ils arborent une joie de vivre qu’ils communiquent aux interprètes.

Les cinq danseurs, quatre hommes et une femme, se lancent dans une danse très dynamique dont les mouvements du haut du corps évoquent de façon délicieusement exacerbée le langage des signes. L’ondulation d’un bras, le raffinement d’un mouvement du poignet, les doigts parlants et le visage expressif, ils déroulent un style chorégraphique extrêmement précis et raffiné dont la rapidité de certains déplacements courts et rapides des pieds fait songer à Saburo Teshigawara.

La non voyance est dessinée dans un pas de deux toujours aussi preste où l’homme dirige une femme aux yeux bandés par de petites touches des doigts, du torse ou du bras. C’est en quelque sorte un rock n’roll façon mi danse classique et mi danse contemporaine où le meneur impose des figures très compliquées à sa partenaire. C’est stupéfiant de justesse et d’avidité de démontrer que tout est possible malgré un handicap.

Et cette avidité de prouver que le handicap ne doit jamais être une exclusion ni une différence est conjugué tout le long de la pièce. Jamais de larmoiement, jamais de misérabilisme, jamais d’apitoiement et surtout, jamais de voyeurisme, mais au contraire de la dignité, de la volonté et de l’humour.

Sur la 9ème symphonie composée par Beethoven de 1822 à 1824 alors qu’il était presque totalement sourd, les danseurs s’exécutent sous des lumières en douche oscillants d’un rond lumineux à un autre comme un jeu d’enfant avec une totale maîtrise de leur art. Les vidéos se poursuivent où l’un des enfants dit : « il est presque impossible de faire semblant d’être sourd, si c’était possible, plus de gens pourraient me comprendre ». Un autre raconte « qu’il est facile de faire semblant d’être aveugle, il suffit de fermer les yeux ».

Immense vérité si émouvante sortie de la bouche de ces bambins ! Mais cela ne les empêche pas de jouer, de se faire des blagues, de rêver de danser avec des pointes puisqu’une adorable petite fille les yeux dans le vide tente des pas les mains dans les chaussons puis en accroche un sur sa tête.

Des jeux il y en a aussi sur scène et, plusieurs fois mis à contribution, les enfants exécutent très sérieusement les désirs des interprètes comme entasser de minuscules chaises et les faire s’écrouler comme des dominos. Humour aussi et destruction du 4ème mur lorsque les danseurs, passant d’un pinceau de lumière à l’autre dans une nouvelle danse effrénée, claquent des doigts pour faire éteindre l’illumination.

L’écriture chorégraphique d’Hélène Blackburn est parfaitement ajustée à l’immense qualité technique de ses interprètes. De la danse classique dont un passage sur pointes à la danse contemporaine, ils exécutent des figures très compliquées qui s’imbriquent dans un tempo toujours extrêmement rapide. Cai Glover, Alexander Ellison, Robert Guy, Daphnée Laurendeau et Danny Morissette sont de formidables artistes et possèdent tous une immense personnalité. L’un que l’on imagine aisément en prince charmant et en contradiction, un autre au physique de rebelle à la James Dean.

Une coccinelle Volswagen téléguidée entre plusieurs fois en scène, mais au final, elle zig zag difficilement entre les minuscules chaises blanches. Puis, elle arrive du fond de plateau en poussant l’une de ces chaises sur laquelle est posé un petit objet noir qu’elle éclaire de ses phares. Le danseur Cai Glover s’en empare calmement et pose les deux ventouses derrière son oreille droite…. Noir ! Ovation !

Effectivement, Cai Glover a perdu l’ouïe à l’âge de 9 ans des suites d’une méningite. Ce final signifie qu’il danse toute la pièce dans un silence intérieur total. Il avouera par la suite avoir, bien entendu, répété appareillé.

La dramaturgie de 9 est magistralement bien dosée avec de légères cassures de rythmes, une progression dramatique très étudiée, des lumières qui scindent les lieux et les actions et un arrangement musical tout en suspens.

Pourquoi ce titre ? Neuf, comme la symphonie de Beethoven, 9 comme l’âge où Cai est devenu sourd et si l’on regarde ce chiffre dans un miroir, apparait le dessin d’une oreille…

Oser aborder un tel sujet avec tant de respect et d’élégance est rare. Cette œuvre splendide, raffinée, sensible, émouvante, très énergique et puissante prouve que la danse a toujours le mot juste, qu’elle repousse les frontières du silence, qu’elle est un langage universel.

DanSons c’est aussi une superbe exposition de Pedro Pauwels Viril mais correct, « un titre tiré d’un terme de rugby » explique Pedro le sourire aux lèvres. Les photos de danse de Nathalie Sternalski et d’Olivier Houeix ainsi que les textes de Philippe Verrièle font la part belle à l’homme dansant. Un second dialogue chorégraphique s’instaure chaque soir entre le chorégraphe et les jeunes danseurs du Pôle d’enseignement supérieur de musique et de danse de Bordeaux qui offrent une courte performance inspirée des images de l’exposition.

Jusqu’au 23 mars, le théâtre des Quatre Saisons propose six spectacles différents avec toujours cette corrélation entre danse et musique.

Sophie Lesort

Spectacle vu le 3 mars au théâtre des Quatre Saisons à Gradignan

DanSONs jusqu’au 23 mars au théâtre des Quatre Saisons (Gradignan) http://www.t4saisons.com/

9 Chorégraphie : Hélène Blackburn, compagnie Cas Public

Interprètes : Cai Glover, Alexander Ellison, Robert Guy, Daphnée Laurendeau et Danny Morissette

Dramaturgie : Johan De Smet

Musique : Martin Tétreault

Film : Kenneth Michiels

Création lumière : Emilie B - Beaulieu, Hélène Blackburn

Scénographie : Hélène Blackburn

Costume : Michael Slack, Hélène Blackburn

En tournée : 14 > 17 mars : Opéra de Saint-Étienne ; 20 mars : Turnhout (Belgique) ; 23 mars : Kortrijk (Belgique) ; 28 mars : Charleroi (Belgique) -

6 > 9 avril : Opéra national de Paris – Amphithéâtre de l’Opéra Bastille

Viril mais correct, exposition de Pedro Pawels jusqu’au 23 mars

 

 

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