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6ème édition de la biennale Pays de Danses à Liège

C’est dans le magnifique Théâtre de Liège entièrement rénové par les architectes Pierre Hebbelinck et Pierre De Wit, que le directeur Serge Rangoni a investit ce lieu splendide en octobre 2013 avec toute son équipe afin d’élaborer une programmation très riche et éclectique avec en outre la biennale Pays de Danses.

Dès le 28 janvier, tous les lieux du théâtre furent dédiés à la danse avec aussi une exposition Rémanences au Madmusée, (qui est temporairement installé au sein du théâtre), réalisée sous la houlette d’Alain Platel qui a choisi les œuvres d’art brut qui ornent les murs de la salle des pieds Légers. Parmi un immense choix de tableaux, il a porté son dévolu sur des portraits réalisés par des handicapés mentaux qui sont d’une rare intensité.

Rien n’est ordinaire dans ce prestigieux édifice où, entre classique et contemporain, le bois domine en corrélation avec les parties classées. Huit ans de travaux furent nécessaires pour mener à bien l’émulation de ce patrimoine culturel. Tout a été minutieusement étudié afin que la reconfiguration de ce lieu réponde aux exigences techniques d’un spectacle, donne un sentiment de bien être au public avec un bar, un restaurant et une notion de transparence fort chaleureuse, sans omettre un mobilier design, un atelier de confection des costumes, des bureaux très lumineux et de nombreux détails comme les phrases fresques de Patrick Corillon dans et sur les murs.

La salle de la Grande Main de couleur grise a conservé son cadre de scène ainsi que les balcons dont celui du roi. Les gradins sont posés telle une main, c'est-à-dire que l’ossature repose sur deux immenses phalanges en acier qui reçoivent les paliers. Elle est recouverte d’une chair de lames de bois en sous face et laisse étonnamment cet espace vide qui est utilisé pour de petites conférences. Ce coté aérien est exceptionnel.

Aérienne aussi la soirée Buenos Aires Tango dans cette même salle avec la présence de deux couples champions du monde Juan Malizia et Manuela Rossi (2014), Eber Burger et Yésica Lozano (2012) et surtout les formidables frères jumeaux Filipeli. D’excellente qualité bien que très académique, cette représentation a ravi une salle comble. Ensuite les amateurs de tango ont pu assouvir leur passion lors d’une Milonga dans la petite salle de l’œil vert accompagnés par les musiciens du spectacle. Ce bal était chaleureux, très amical et le retour des danseurs professionnels argentins, dont on a pu encore mieux apprécier leurs immenses valeurs techniques, fut grandement acclamé.

Pour Pierre Thys, le conseiller à la programmation danse du Théâtre de Liège, l’esprit de découverte est l’angle principal de la première scène de Wallonie. « Nous essayons de poser un regard sur les mixités et la différence en nous tournant autant vers des créations internationales que vers la production d’œuvres belges. J’aime m’attacher à des questions d’histoire et de mémoire qui bouleversent les certitudes et engendrent des réflexions. » Avec vingt-sept compagnies invitées, cette édition a mis en évidence toutes les formes de danse et ce dans seize lieux de la ville et des alentours.

L’affiche très éclectique était composée entre autres de Ohad Naharin, Nicole Moussoux, Michèle Noiret, Emio Greco et Pieter C. Scholten, Fré Werbrouck avec deux pièces délicates et Jorge León et Simone Aughterlony qui, avec Uni*form abordent un sujet sensible sur l’homosexualité des policiers.

En programmant certaines œuvres dans les centres culturels qui jouxtent Liège, Pierre Thys ouvre cet événement à un large public. Ainsi, dans la ravissante chapelle de Huy, l’un des lieux du Centre culturel Saint-Mengold, Justine Dandoy a terminé l’annonce de sa soirée en disant au public : « soyez heureux ! » Ces deux petits mots libèrent l’esprit et permettent de se sentir libre de voir ce qui va suivre sans aucun préjugé.

Et elle avait raison, parce que les deux pièces chorégraphiées par Fré Werbrouck sont de véritables bijoux et rendent effectivement heureux. Tout d’abord Phasme qui met en scène une femme enchâssée dans une table. Sous des lumières très étudiées, Lise Vachon inaugure un nouveau style où le bas de son corps est figé dans le meuble alors que ses bras sont les seuls à se mouvoir. Avec grâce et une profonde intériorité de son personnage, elle distille tout un patchwork d’univers propres aux tableaux du peintre Michaël Borremans dont s’est inspirée la chorégraphe.
Tout est suggéré par le biais de certains gestes récurrents et ravissants tel celui de l’avant bras qui se pose avec douceur sur la table, la paume de la main en l’air. On est très rapidement envoûté par cette pièce très délicate et si originale tant la texture minimaliste de la danse est extrêmement bien écrite. Car cette femme, même si elle est enfermée sans doute depuis très longtemps dans cet objet, fait preuve d’une intense envie de vivre, de communiquer, d’aimer. Sa solitude est palpable, son message aussi. C’est intense et magnifique.

S’ensuit Sillon toujours signé par Fré Werbrouck qui fait émerger des images troubles et troublantes. Sur et sous des images graphiques très lumineuses, Sara Sampelayo Fernandez déploie une danse très liée, très enrobée avec des déplacements très lents au sol tels d’imperceptibles glissements. La danseuse qui maitrise parfaitement bien chaque partie de son corps semble contrairement à Phasme vouloir rester en elle-même, c'est-à-dire ne pas s’extraire de son rêve ou de son cauchemar. Une œuvre très courte mais qui en dit long sur le talent de Fré Werbrouck et qui prouve avec ces deux opus qu’elle est non seulement chorégraphe mais aussi directrice d’acteur.

Au Manège, le public est assis dans des gradins installés en carré. Au centre du plateau de jeunes enfants déguisés en policiers jouent à se courir après, puis, d’un coup ils s’esquivent. Intervient le bataillon d’un commissariat qui fait sa ronde le regard dur, menaçant, impressionnant. Ainsi débute Uni*Form de Jorge León et Simone Aughterlony.
Des petites touches surprennent tel l’un des hommes qui se maquille un œil, de légères caresses entre femmes, un regard lubrique d’un autre policier… mais rien ne peut laisser imaginer ce qui va suivre car pour l’instant, seules l’autorité et la rigueur règnent. Mais les matraques s’extirpent des ceinturons et font naître des teintes de violence. Violence entre eux mais aussi violence qu’ils infligent à n’importe quel quidam afin de s’enorgueillir de leurs pouvoirs. De fil en aiguille, ils se lâchent. Un long baiser entre femmes, des gestes non équivoques entre hommes pour finir par une orgie monumentale où les corps à moitié ou totalement nus s’explorent sans retenue.

Le sens de cette pièce est profondément angoissant, parce qu’il parait évident que ce qu’ils subissent entre eux est le portrait exact de ce qu’ils font surement subir aux personnes qu’ils interpellent.

Galerie photo - UniForm © Jorge León

Cette pièce provocante et crue est née après l’idée de Jorge de réaliser un documentaire sur un groupe de policiers gays (les Rainbow Cops, organisation créée récemment au sein de la police fédérale belge). Mais la police exigeant un droit de regard, il ne restait qu’à ouvrir ce champ d’action sur la scène. C’est pourquoi Jorge León et Simone Aughterlony qui ont un long parcours artistique commun, ont réalisé Uni*Form.

 

Bien que très engagée cette œuvre faute par manque de rythme et certains clichés qui n’apportent rien de plus au sens désiré. Toujours est-il que le public en prend plein la figure tant le réalisme des scènes est flagrant et tant l’ambigüité du discours ne peut laisser indifférent. A l’issue de la représentation un débat fut organisé avec Jorge León pour que les étudiants de première année de l’école d’Art posent toutes les questions inhérentes à la pièce.

Entre le classicisme du tango, le style très contemporain de Fré Werbrouck, l’exposition bouleversante d’Alain Platel et les libertés artistiques de Simone Aughterlony et Jorge León, il est évident qu’avec Pays de Danses, Serge Rangoni et Pierre Thys ont touché un très large public qui est ouvert à toute forme d’art.

Sophie Lesort

Buenos Aires Tango : Musiciens et chanteurs : Camilo Ferrero (premier bandoneón et arrangements), Ramiro Boero (deuxième bandoneón invité), Guillermo Rubino (premier violon invité), Gustavo Mulé (deuxième violon invité), Martín Vázquez (guitare électrique et arrangements), Ignacio Varchausky (contrebasse), Ariel Rodríguez (piano et arrangements), Juan Pablo Villarreal (chant)
Danseurs : Les Frères Filipeli (Nicolás et Germán) Juan Malizia et Manuela Rossi (champions du Monde 2014) Eber Burger et Yésica Lozano (Champions de champions 2012)
Phasme : Concept & Mise en scène : Claire Farah, Eve Giordani, Fré Werbrouck 
Chorégraphie :

Fré Werbrouck
Phasme : Interprétation: Lise Vachon 
Dramaturgie : Eve Giordani
Scénographie & Costume : Claire Farah 
Création Musicale : Boris Gronemberger
Création Lumières : Marc Lhommel  
Construction : Sylvain Daval
Sillon : Concept et mise en scène : Fré Werbrouck
Création et interprétation : Sara Sampelayo Fernandez
Musique : Boris Gronemberger
Images : Eve Giordani

Uni*Form : création et interprétation Simone Aughterlony, Davis Freeman, Nada Gambier, Kiriakos Hadjiioannou, Jen Rosenblit, Hahn Rowe, Gary Wilmes
Conception : Simone Aughterlony, Jorge León
Conseils dramaturgiques : Saša Božic, Alain Franco
Musique : Hahn Rowe
Lumières : Florian Bach
Costumes : Judith Steinmann
 

 

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