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Mathieu Guilhaumon, un Français au Chili révélé à Vaison Danses
Le Ballet Nacional Chileno dit, le BANCh, dirigé par Mathieu Guilhaumon, nous vient tout droit de Santiago du Chili au festival Vaisons Danse. Un événement suffisamment rare pour être soulligné !
Toute histoire chorégraphique qui nous parvient de Santiago du Chili s’avère passionnante. Fondamentale. Et parfois fatale. Il y avait Pina Bausch qui, après le décès de son mari Rolf Borzik (1944-1980), rencontra à Santiago en 1981 Roland Kay (1941-2017), le père de son fils Salomon. C’est à Santiago que le Tanztheater Wuppertal répéta ...como el musguito en la piedra, ay, si, si, si..., créé en 2009 à Wuppertal. Ce fut la dernière pièce de Bausch qui décéda au cours de la tournée. Santiago encore, avec Claude Brumachon et Benjamin Lamarche qui nous dévoilèrent en 2020 leur intense relation avec le Chili [ lire notre Interview]. Et aujourd’hui, la France semble prête pour découvrir Mathieu Guilhaumon, l’actuel directeur artistique du BANCh, le Ballet Nacional Chileno, compagnie fondée il y a 80 ans par des exilés allemands.

Connaissez-vous Mathieu Guilhaumon ? Probablement pas. Il s’agit pourtant d’un chorégraphe français qui a fait ses preuves, qui plus est dans le travail avec des danseurs formés en classique. Et ces camarades-là ne sont pas si nombreux. Mais ce natif de Collioure a incontestablement le don de passer sous le radar. Ayant fait ses gammes au conservatoire de Perpignan avant de poursuivre sa formation chez Alvin Ailey à New York et à Rudra Béjart de Lausanne, Guilhaumon dansa dans les ballets de Berne, Augsbourg et à l’Opéra National du Rhin, où il réalisa aussi ses premières chorégraphies. Il était donc transfrontalier dès ses débuts, et c’est sur ce mode qu’il entend poursuivre dans les années à venir. Mais ce sera plus au sud, en traversant les Pyrénées. Si on commence enfin à l’identifier en France, c’est grâce à son passage au festival Vaison Danses, avec la troupe du ballet national du Chili, une compagnie à l’orientation post-académique.
Le grand saut à Santiago
Quand en 2012 le Ballet Nacional Chileno – le BANCh – cherche le successeur de Gigi Caciuleanu, Guilaumon se trouve, malgré lui, en première ligne : « A ce moment, j’étais en train de créer une pièce au BANCh, en tant que chorégraphe invité. C’était mon premier séjour au Chili, et je découvrais des danseurs d’une énergie vraiment différente. Quand la direction m’a fait comprendre que mon profil les intéressait, je me suis dit que j’allais oser le grand saut. J’avais 34 ans, je sortais du ballet de l’Opéra national du Rhin et venais d’arrêter de danser, ayant décidé de me consacrer à un chemin chorégraphique. » Caciuleanu avait dirigé la compagnie de 2001 à 2012. Guilhaumon en aura fait autant, de 2013 à 2025. Aujourd’hui son aventure chilienne est en train de se terminer et le retour en France imminent.

Dès son arrivée à Santiago, Guilhaumon amène les danseurs à se produire dans l’espace public et opère un rapprochement avec le Ballet de l’Opéra, la compagnie classique à l’époque dirigée par Marcia Haydée. L’âme du BANCh était au contraire identifiée comme contemporaine, depuis sa création en 1945 par un groupe allemand d’élèves de Kurt Jooss sous la direction d’Ernst Uthoff Biefang (1904-1993). « Il y avait encore cette idée de la compagnie contemporaine et de la compagnie classique, sans dialogue ou collaboration interinstitutionnelle. Alors je me suis rapproché de Marcia et elle m'a dit : Bien sûr ! Suite à quoi on a commencé à faire des créations partagées et créer une circulation entre les danseurs qui étaient très séparés. »
Sous le radar
En 2018, la presse chilienne nomme Guilhaumon figure culturelle de l’année alors qu’en France, il passe encore sous le radar. Il travaille pourtant à l’Opéra de Paris et dans d’autres grandes maisons, chorégraphiant pour les mises en scène d’opéra de Mariame Clément. Treize productions au total. Mais la critique française d’opéra l’aide encore à passer inaperçu, en omettant de mentionner dans ses articles la présence d’un chorégraphe !
Et si Guilhaumon a créé un festival de danse qu’il amène aujourd’hui dans sa cinquième année, la discrétion reste totale puisque l’événement, baptisé Festival des 8, se déroule à Collioure. Mais il commence à laisser ses empreintes, avec une création mondiale pour sept interprètes du BANCh : De una luz a otra – d'une lumière à l'autre, « une pièce qui parle de ce pont entre le Chili et la France », lien qui l’habite depuis 2012. Aussi ses projets futurs sont transfrontaliers, grâce à son bilinguisme qui ne peut que l’aider à créer de nouvelles connexions entre sa terre natale et la Catalogne, sur la base d’un esprit partagé.
Chacona – Euritmia – Bolero
Les sept danseurs du BANCh (sur un effectif total de dix-huit) qui créent à Collioure De una luz a otra sont aussi ceux qui ont interprété le programme présenté à Vaison Danses, en première européenne. Il était temps ! Trois pièces signées Guilhaumon, de trois périodes différentes : Chacona (2021), Euritmia (2024) et Quinteto & Sexteto (Bolero) (2018). Sur la Chaconne de Bach, un trio plein de suspense et de gestes suspendus, extrêmement habité où les personnages luttent avec eux-mêmes et les autres, face à des imaginaires obsédants, alors que les corps s’inscrivent presque autant dans l’horizontale que dans la verticale. Une parfaite illustration d’un style que Guilhaumon caractérise comme axé sur « l'émotion, la question de la rencontre des danseurs comme des interprètes sur scène, avec une grande participation créative des danseurs ».

Dans Euritmia, un quatuor qui est, comme son titre l’indique, inspiré par l’eurythmie, se déploie une danse presque abstraite, fluide et effervescente, à l’élégance qui joue sur les développés, l’équilibre et la clarté des lignes. Ce divertissement très aéré semble également traduire l’influence Alvin Ailey chez Guilhaumon, qui nomme « cette danse du corps qui est à sa manière une danse sociale » parmi ses influences principales. Présenté en conclusion, Quinteto & Sexteto (Bolero) date d’avant les deux autres pièces du même programme, mais apparaît ici telle leur synthèse. Six interprètes, alertes, vifs et combatifs, déploient une animalité aux aguets qui se mue en rite extatique, faisant vibrer l’espace dans une formidable dynamique collective. Un culte primitif qui se déchaine dans un grand raffinement, avant un effondrement final qui résonne avec l’apothéose du Boléro de Ravel tel un écho millénaire.
Vestiges de l’éphémère
A Vaison Danses, le Théâtre du Nymphée, avec les vestiges romains en arrière-plan, avait été équipé pour la première fois d’un gril permettant des éclairages sophistiqués. Et les danseurs arrivèrent, pour ce Boléro, l’un après l’autre en traversant ces murs antiques. Quand deux mille ans d’histoire rencontrent l’art éphémère de la danse, son caractère fugace s’en ressent d’autant plus. Les ruines peuvent en dire long sur la danse ! Et ce fut vrai aussi sur la scène du grand Théâtre antique de Vaison-la-Romaine, où le Junior Ballet de l’Opéra national de Paris a offert son programme, pour la première fois en France après sa création à Versailles [ notre critique ].
Galerie photo © Stéphane Renaud/Vaison Danses
Les énormes rochers taillés qui délimitent le plateau (mais restent souvent cachés dans des mises en scènes contemporaines) furent mis en lumière avec une subtilité très animée, faisant apparaître d’étonnantes superpositions. Les danseurs pouvaient alors évoquer tantôt des gladiateurs (dans Allegro brillante de Balanchine), tantôt des sculptures animées (dans Cantate 51 de Béjart). Mais la pierre vaisonnaise pouvait aussi former un décor paysager pour les danseurs évoquant une rose et ses pétales, dans le très sensuel Requiem for a Rose d’Annabelle López Ochoa. En revanche, les vestiges s’effacèrent dans l’obscurité quand arriva l’humoristique Mi Favorita de José Martinez. Et ce fut bien vu, là encore puisqu’il est vrai que l’humour n’est pas le fort de la pierre. Ce n’est qu’au moment où fut évoqué Le Penseur de Rodin qu’on éclaira brièvement le patrimoine minéral. Et si les danseurs du Junior Ballet sont les étoiles de demain, la lumière des étoiles d’un passé immémorial était bien présente, au-dessus du plateau. Alors oui, il arrive qu’à Vaison, la danse se découvre parfois une surprenante romanité, en se frottant à l’éternel.
Thomas Hahn
29e édition de Vaison Danses
Théâtre du Nymphée, le 18 juillet 2025
Distribution
Chacona, Euritmia, Quinteto & Sexteto (Bolero) de Mathieu Guilhaumon
Avec les danseuses et danseurs du Ballet Nacional Chileno
Costumes : Carolina Vergara
Lumières : Andrés Poirot
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