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Fugue VR
L’expérience a lieu pour dix personnes seulement, au TNG / Ateliers de la Presqu’ile, dans une petite salle, tout en haut de ce mini-théâtre. Ça doit durer environ vingt minutes.
A peine le casque de réalité virtuelle (ou VR Virtual Reality en anglais) posé, le monde réel s’envole. Vous êtes seul au monde, les gens, pourtant autour de vous quelques millièmes de seconde auparavant ont disparu. À la place, un autre univers se déroule sous vos pas, le casque prenant en charge vos yeux et vos oreilles. Vous voilà donc transportés dans le décor du Musée Guimet de Lyon, future Maison de la danse, pour un pur moment d’illusion, accompagné de personnages… rétro-futuristes ça tombe bien ! Il s’agit pour vous, si vous acceptez cette mission, de vous mettre à la place de Yoann Bourgeois dans la performance mythique qui l’a lancé (si j’ose dire) : Fugue trampoline.
Pas de doute, l’effet est bluffant à souhait, vous permettant d’éprouver des sensations aussi fortes que vertigineuses en mode grand huit, désorientés, puisque le sol n’existe plus, « un vertige existentiel » comme le promet le dossier de presse. Le décor, particulièrement soigné, les images somptueuses, ajoutent à l’immersion spatio-temporelle. Il faut dire que le film, réalisé par Michel Reilhac, a été produit par Small Bang, la Maison de la Danse, le Centre Chorégraphique National de Grenoble, codirigé par Yoann Bourgeois et Auvergne Rhône-Alpes Cinéma qui a mis à disposition un Insta Pro une caméra à 360°, qui permet de créer cet effet visuel, avec l’aide de BNP Paribas pour un budget de 270 000 €.
Evidemment, ça fait penser à des jeux vidéo. D’ailleurs, des salles existent ici et là, proposant toutes sortes d’expériences tout aussi sensorielles et sensationnelles, même si la qualité des films n’est sans doute pas aussi raffinée.
Mais ça nous rappelle également que l’ultra-chic d’aujourd’hui n’est plus d’aller au spectacle, dans un lieu collectif pour voir et partager l’agencement, l’imaginaire ou l’intelligence du propos de quelqu’un d’autre, mais bien de « participer » selon l’adage Coubertinesque. Ainsi de la VR. Ainsi du Slow Walk organisé par Anne Teresa De Keersmaeker dans les rue de Paris : « À la fois méditation et invitation à ralentir son corps et son esprit, cette marche lente propose d’expérimenter l’espace urbain selon une nouvelle perspective ».
Galerie photo © Production / Small Bang
Expérimenter, éprouver sont les deux nouveaux maîtres mots de ces nouvelles formes de… non pas « spectacle » car il ne s’agit plus de regarder quoi que ce soit. Pas même ses contemporains puisqu’il s’agit d’une pratique intime, de celles dont le philosophe Ludwig Wittgenstein nous a déjà appris assez finement qu’on ne pouvait pas les transmettre. Façon de dire que les limites de notre environnement se résument, se résumeront à son propre corps. C’est donc une expérimentation rigoureusement individualiste, soit le contraire absolu du théâtre. Il ne s’agit plus non plus de penser, ni même de réfléchir – collectivement ou non – à ce qu’on a bien pu non plus voir, mais de sentir.
Si l’on poussait un peu le bouchon, on dirait que la réalité virtuelle est au spectacle ce que la téléréalité est au cinéma. On n’ira pas jusque-là, mais, ça en dit long sur ce modèle du « participatif » si prisé de nos jours. Je propose donc, pour définir ce nouveau type d’événement le mot divertissement. Puisque étymologiquement parlant divertir signifie bien dé-tourner, issu du même verbe que « vertige ».
Mais après tout, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse !
Agnès Izrine
Du 13 au 23 septembre 2018 au TNG / Ateliers de la Presqu’ile à Lyon.
Du 9 au 12 octobre à la Comédie de Saint-Etienne dans le cadre de la 18e Biennale de la Danse Saint-Etienne Métropole.
Théâtre de Liège, les 16 et 17 novembre.