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« Sans Titre » (2014) de Xavier Le Roy

"Untitled 2014" @ Jamie North

Non, pas lui ! Peut-on imaginer, ne serait-ce qu’un instant, que Xavier Le Roy en personne nous serve la plus ancienne boutade du spectacle vivant ? Il entre et déclare que le spectacle prévu ne pourra pas avoir lieu. En l’occurrence, c’est une conférence. Pas de chance, l’intervenant nous déclare qu’il a perdu la mémoire. Ah, ce vieux canular du superbe numéro malheureusement empêché de brûler les planches, cette tentative sans cesse déjouée qui finalement fait spectacle… Ce vieux truc de clown, on l’a senti venir dès le début. Et finalement, on le redécouvre avec bonheur.

En effet, dans son personnage dépité et déprimé, Le Roy révèle qu’il possède un véritable talent pour le nez rouge. Sans doute n’y voit-il qu’un moyen pour briser la glace entre lui et la salle. Car cette première partie de « Sans titre » (2014) une soirée en trois parties se révèle être un spectacle participatif de la plus belle manière qui soit, sollicitant le meilleur de la part du spectateur.

On est bien dans ce que Le Roy indique comme thème général, à savoir l’absence d’un élément constitutif et élémentaire d’une situation spectaculaire donnée. Ici, dans la partie « conférence », ce serait donc, faute de mémoire, la conférence elle-même.

Que faire ? Faute de mieux, il va nous lire la feuille de salle qui décrit une pièce (ou installation) créée en 2005 dont il revendique, indirectement, la paternité. Ce Untitled est pourtant absent de son CV et était présenté de façon anonyme, dans cinq villes à travers l’Europe. La feuille de salle précise que le travail chorégraphique « était composé d’actions, motivées par un désir de créer des moments d’indiscernabilité, et proposait de faire l’expérience de ce que l’on perçoit si l’on ne reconnaît pas précisément ce que l’on regarde. »

"Untitled 2014" @ Jamie North

 

Il s’agit donc de parler, sans s’en souvenir, d’une pièce où l’on ne voyait presque rien. Et le miracle se produit. « Y en a-t-il parmi vous qui ont vu cette pièce ? » demande-t-il au public. Et contre toute attente, au moins ce soir-là (il s’agit de celui de la deuxième représentation), plusieurs personnes se mettent à livrer des impressions. Ils sont par ailleurs nettement plus nombreux que ceux qui font des commentaires ironiques, voire cyniques.

Aussi se constitue dans nos têtes un spectacle où l’on ne voyait (presque) rien. La mémoire du public se substitue à celle du vrai-faux conférencier. Une pièce perdue, tombée dans le trou noir de l’oubli ressuscite grâce aux souvenirs des spectateurs ! Il est même possible de vérifier des hypothèses. Une spectatrice livre un souvenir visuel, sous réserve : « Mais je ne suis pas sûre que c’était le même spectacle. » « Non, cette image n’y était pas », répond un autre spectateur qui se souvient de corps plongés dans l’obscurité où il était impossible de distinguer les danseurs des mannequins.

Le tableau suivant reprend exactement ces « moments d’indiscernabilité », avec Le Roy au sol, son corps se mêlant à celui d’un mannequin. L’œil du spectateur peut mettre longtemps avant de faire la part des deux et le cerveau a tout son temps, dans le tableau final, pour s’étonner de l’incroyable souplesse de Le Roy qui, cloué au sol, dialogue avec un mannequin suspendu, à la manière d’un manipulateur ou gréeur, à travers des fils invisibles et grâce à une articulation du corps assez prodigieuse.

Ajoutons qu’entre le premier et le second tableau, un autre spectacle a lieu. À la manière de The Show must go on de Jérôme Bel, le plateau reste plongé dans le noir pendant de longues minutes. Rien à voir, et pourtant un déjà-vu ! Alors le public se met, là aussi, à substituer son énergie à celle des interprètes.

"Untitled 2014" @ Jamie North

 

 

Certes, la reconstitution de Untitled de 2005 ne pourra fonctionner que grâce à un public fidèle, prêt à suivre un artiste, à la fois à travers le temps, l’espace et de façon mentale. Mais la preuve est donnée de ce que le pari n’est pas aussi fou qu’il peut paraître. Ou bien sont-ils tous complices? Ou en partie? Là aussi, nous sommes dans un « moment d’indiscernabilité » qui représente de fait une ouverture des possibles.

Ce traité de l’absence en trois parties (voire quatre, donc et pourquoi pas cinq, si on ajoute la prétendue absence d’un titre), est autant un spectacle sur la manipulation. Manipulation subtile du public, manipulation de corps, manipulation de la perception visuelle et finalement manipulation de l’acte manipulatoire, toujours en raison de l’absence d’’un élément-clé, matériel ou immatériel, que le spectateur se doit d’apporter, sous peine de ne rien voir. Aussi, « Sans Titre » (2014) est presque un spectacle de magie et met en lumière la part active et participative du spectateur dans chaque acte de réception artistique.

 

Thomas Hahn

 

« Sans Titre » (2014) 

De et avec Xavier Le Roy (et le public)

Dans le cadre du Festival d’Automne 2014

Au Théâtre de la Cité Internationale

 

Du 8 au 13 décembre Théâtre de la Cité Internationale

 

www.festival-automne.com

www.theatredelacite.com

 

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