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Quelle place pour la danse au Théâtre de la Ville et au Festival d’Automne?

 

Emmanuel Demarcy-Mota @ Jean-Louis Fernandez

 

Interview exclusive d’Emmanuel Demarcy-Mota, metteur en scène, directeur du Théâtre de la Ville et du Festival d’Automne.

Dansercanalhistorique : Vous êtes metteur en scène de théâtre et on vous dit moins intéressé par la danse que votre prédécesseur, Gérard Violette. Cette impression est-elle juste?

Emmanuel Demarcy-Mota : En fait, je vais voir beaucoup de danse. En ce moment, je vois même plus de danse que de théâtre, y compris à l’étranger. Je suis très intéressé par ce regard-là et j’y apprends beaucoup, y compris pour mon propre travail de metteur en scène.

Quels sont vos axes en matière de danse?

Je discute beaucoup avec Claire Verlet et nous avons défini trois axes. La première porte sur les nouvelles générations. Aussi, nous accompagnons des personnes comme Noé Soulier.

Le deuxième axe est de développer de nouveaux échanges avec des gens comme Lémi Ponifasio ou Bruno Beltrao qui sont des penseurs forts. Je me réinterroge aussi sur la place du Hip Hop, de son avancée aujourd’hui et sur ce qui va se passer dans ce courant-là. Je pense que le Théâtre de la Ville devra aussi accompagner ce courant de la danse auquel il commence tout juste de s’intéresser.

Le troisième axe est le concours « Danse élargie » qui a permis des découvertes importantes. Et nous travaillons en ce moment sur la possibilité d’organiser le concours également dans d’autres pays. Pourquoi ne pourrait-il pas avoir lieu telle année à Paris, telle année à Séoul? Il faudrait voir ce qui se passe chez les nouvelles générations en Asie, aux États-Unis ou en Amérique du Sud.

 

Tempest de Lemi Pinfasio

 

 

La danse va-t-elle continuer à trouver une place dans la série Chantiers d’Europe?

Pour la prochaine édition, nous inviterons la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal. Avec chaque pays nous travaillons pour identifier les nouvelles générations qui émergent et comment nous pouvons les accompagner dans le cadre de Chantiers d’Europe et nous souhaitons renforcer la place de la danse.

Vous citez les quatre pays européens le plus fortement étranglés par la dette, laquelle est le sujet de votre mise en scène actuelle au Théâtre des Abbesses, « Le Faiseur » de Balzac!

En effet. Nous avons présenté chacun de ces pays avant, mais en 2014 nous voulons les réunir et créer une sorte d’association entre la France et ces quatre pays, très endettés et donc en grave difficulté sur la création artistique. C’est un projet sur lequel je suis en train de travailler en ce moment. Dans ces pays, le danger est grand que tout le monde finisse par faire du théâtre commercial puis qu’il n’y a plus de financement public. Que veulent ces états ? Ils doivent se poser la question et assumer leurs choix. Si au nom de la dette ils ne veulent plus soutenir une création de recherche, qu’au moins ils fassent des choix qui favorisent la mise en place de théâtre et de danse qui n’ont pas besoin de financement public. Car c’est qui va exister, forcément. Les artistes ne vont pas s’arrêter de créer… Aussi on aura un art commercial et un art marginal. On reviendra à un système qui a existé auparavant. Ce sera un énorme retour en arrière.

 

Quel type d’engagement en faveur du sud de l’Europe pouvez-vous mettre en place?

Il nous faut un espace de solidarité avec ces pays, un espace de circulation et de solidarité. J’en ai parlé avec Anne Hidalgo qui sera, je le pense, la nouvelle maire de Paris. Il faut que l’Europe soit une réalité. Ce n’est pas parce qu’on a un « Théâtre de l’Europe » qu’on a l’Europe. Il faut quelque chose de plus partagé. Avec les villes, les théâtres et les compagnies de ces quatre pays nous allons créer une forme de fédération que nous allons par la suite élargir à l’Europe centrale, à commencer par Berlin, justement par exemple parce que Thomas Ostermeier va souvent voir le travail des jeunes compagnies en Grèce.

L’enjeu est de développer des échanges plus approfondis, fraternels, non commerciaux avec ces pays, avec la Corée etc. Mais ce qui passe avant toute autre chose, c’est la mixité de notre public. Notre travail sur une meilleure mixité en matière d’âge, de géographie et de classes sociales porte ses fruits.

 

 

"Umwelt" de Maguy Marin @ C. Ganet

 

 

Vous citez Thomas Ostermeier qui dirige la Schaubühne de Berlin. Vous avez noué des liens avec les deux principales troupes de théâtre berlinoises, le Berliner Ensemble et la compagnie d’Ostermeier. Est-ce le modèle des ensembles allemands qui vous a donné envie de faire vivre vous-même une véritable troupe sur la durée, ce qui est assez rare dans le paysage français ?

J’ai commencé à travailler au théâtre avec une troupe. Aujourd’hui certains des acteurs avec lesquels je travaille m’accompagnent depuis une quinzaine d’années. C’est pourquoi nous avons pu développer notre langage. Mais c’est surtout le modèle des compagnies en danse qui m’a inspiré, et plus particulièrement les troupes de Pina Bausch, d’Anne Teresa de Keersmaeker ou de Maguy Marin qui peuvent reprendre des pièces de leur répertoire ce qui permet de montrer la dernière création et une œuvre ancienne dans un même programme. Ca permet aussi de programmer les portraits, comme ceux de Maguy Marin ou Robert Wilson au Festival d’Automne, où les pièces de Maguy Marin ont rencontré vingt-deux mille spectateurs. Au Théâtre de la Ville seul, nous n’aurions pas dépassé quatre à cinq mille. Et les trois mois du festival ont permis la mise en place d’ateliers de Maguy en direction des jeunes. Pour le portrait Wilson et la venue d’Einstein on the Beach, j’ai mis six mois à négocier avec la compagnie et le Théâtre du Châtelet. Le festival n’a pas un gros budget, contrairement à ce que les gens pensent. Et sur les 1.5 million d’euro, presque la moitié vient du financement privé. Mais le festival permet ce genre d’opérations.

 

 

Einstein on the Beach @ D.R.

La troupe de Pina Bausch va-t-elle continuer à venir à Paris?

Le Théâtre de la Ville est prêt à continuer à accueillir la troupe de Wuppertal. Seulement, la demande de places est telle qu’il ne reste jamais de places pour la vente libre. La solution que nous visons est de collaborer là aussi avec le Théâtre du Châtelet pour pouvoir présenter une pièce phare comme « Nelken » devant deux-mille personnes, et de l’autre côté de la place, au Théâtre de la Ville, une autre pièce, devant mille personnes.

 

Vous dirigez également le Festival d’Automne. Qui invitez-vous pour l’édition 2014 ?

Il y aura des portraits de Romeo Castellucci et de William Forsythe. Forsythe sera programmé au Théâtre de la Ville, au Châtelet et à Chaillot et dans plusieurs théâtre de banlieue comme le Forum du Blanc Mesnil qui ne pourraient jamais accueillir une œuvre de Forsythe sans coopération avec le festival. Il y aura cinq ou six pièces de Forsythe pour un total d’environ vingt-cinq représentations.

Vous êtes metteur en scène et dirigez deux institutions de premier plan, alors que Gérard Violette était pleinement occupé par le seul Théâtre de la Ville. Comment faites-vous pour ne pas vous écrouler?

La question n’est pas de savoir comment je fais, mais si je le fais bien. Si un jour le Théâtre de la Ville ou le festival perd du public, j’arrête tout de suite. A part ça, comment je fais? J’ai grandi dans le milieu du théâtre, j’ai été très sportif, en tennis, j’ai une bonne mémoire et je sais bien organiser mon temps. Ma journée commence à neuf heures et se termine à minuit. Tous les mardis il y a une réunion avec l’équipe du festival, tous les jeudis avec le personnel du théâtre. Et je fais au maximum une mise en scène par an. Quand nous sommes en tournée, j’accompagne la troupe pour répéter et adapter le spectacle à la salle d’accueil. Mais le lendemain de la première, je rentre à Paris.

 

Propos recueillis par Thomas Hahn

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