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Nacera Belaza à Montpellier Danse

Nacera et les autres
Dans Les oiseaux – pièce créée à Montpellier danse – Nacera Belaza condense à l'extrême son appel à la conscience du vide, dans l'altérité

On entend parfois formuler le reproche selon lequel Nacera Belaza serait inapte à chorégraphier quoi que ce soit de plus qu'un duo avec sa propre sœur Dalila.

 
 

Au demeurant, cela n'est pas historiquement vérifié : on compte plusieurs pièces d'effectifs plus développés à son répertoire. Et cela ne saurait suffire à fonder quelque reproche, tant l'obstination dans le tracé d'une seule ligne, sans déviation de pièce en pièce, est clairement revendiquée par la chorégraphe même.

Or là ne résident pas les questions suffisantes.

 
 

Ce que Nacera Belaza révèle par son inépuisable travail minimaliste, est le lien opérateur de toute danse avec un facteur d'altérité. Il n'est de danse qui ne procède par activation d'une séparation de soi au monde et aux autres, bien évidemment ; mais encore de soi à soi-même, réalisant en conscience la pratique d'avoir un corps tout autant qu'on en est un. Il n'est de danse, fût-ce la plus extrême soliste, qui déjà ne démultiplie, à travers les les espaces, des cristallisations fugaces de conscience d'être.

Nacera Belaza danse souvent en compagnie de sa sœur Dalila. Leur danse commune se perçoit alors comme jonction de solos. Qu'elles se dupliquent ou se répliquent, leurs danses activent le vide qu'il s'agit entre elles de faire vivre, en tant qu'échappée vers l'invisible.

Nacera et Dalila Belaza présentent une troublante proximité de traits physiques. Sans pourtant rien d'une gémellité biologique, tout dans leur rapprochement éveille le trouble dynamique du semblable et du distinct, du même et de l'autre, où court une marge de vibrations ténue, tendue sur le bord, entre jonctif et disjonctif. S'y arpente un vertige d'être, là en surplomb du sens de vivre. Dans l'appariement de Nacera et Dalila Belaza se torsade en lianes la prise d'altérité de chacune sur la faille d'être, l'évidente présence tout autant que l'énigme de ses résonances.

 

Créée à Montpellier danse, surnageant dans la houle des événements de l'intermiitence, Les oiseaux est apparue comme une pièce brève, s'éteignant à la façon d'une flamme de bougie soufflée, après avoir condensé la pâleur lumineuse de ces principes omniprésents chez la chorégraphe.

Cette pièce pourrait ne s'envisager que depuis la lumière (création Gwendal Malard). Celle-ci est d'abord rassemblée en halo, autour des deux danseuses proches. Elles sont là comme découpées en suspension dans le monde. Elles sont situées à proximité l'une de l'autre. Très frontales, et pourtant flottant dans un irréel dérobé.

Galerie photo Laurent Philippe

Leur gestuelle des bras est toute rhétorique, accentuée, coudée, cassante, presque piaffante. Dans le plié, le heurté, la ponctuation et la saccade, une intense conversation se livre, mais dont le sens échappe en tout. Une vaine jacasserie concentre une fixité des positions. Une énergie centripète s'entête à creuser là un trou dans l'instance du présent. Il y a de la périphérie à ce jeu, qui n'est pas celle du dessin des corps, mais d'un creux, irrémédiable, qui les sépare.

On ne s'est pas interdit de penser à d'autres personnages possible, comptant énormément entre ces deux femmes, en ce moment-là.

Deuxième tableau aux lumières. Le plateau tout au contraire s'est éclairé, un sol s'est dessiné sous les présences incarnées. Mais l'espace s'est alors expansé. Une grande distance s'est instaurée, séparant les deux interprètes. Un sourd big bang a opéré, depuis le trou précédemment creusé. Les bras s'élèvent sobrement à l'écart. Une lente giration inverse les plans d'expositions sans qu'on s'en rende compte, la paire se rejoint de face par-delà la distance.

 

Une clameur obscure persiste en fond (son : Christophe Renaud), qui en rien ne renonce aux (r)appels de la vie effective. Comment ne pas entrevoir ici des spectres ? Quelque chose s'en est allé, qui nous défait et dissout nos sentiments d'unité factice. Tout est nimbé, de ce que transporte, dépasse et déplace tout geste, au-delà de sa forme.

La focalisation alterne sur l'une puis l'autre des danseuses. Passage à genoux, palpitation, impulsion infime, et doux balancement. Tout est tremblé, et de serrée d'abord, l'intensité s'est faite toute diffuse. On n'a pas su se convaincre qu'il y eut alors une fin.

Gérard Mayen

 

Spectacle vu le lundi 30 juin 2014 au Studio Bagouet - CCN – Agora de la danse

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