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Mamela Nyamza et les Kids de Soweto

Dans les bandes de mecs, les vrais, on se tape gaillardement sur l'épaule, d'un grand mouvement comme ça, et on se tient un instant par le cou, bras dessus bras dessous. Voilà un code de comportement viril. Les Kids de Soweto sont une bande de cinq mecs, des vrais, récemment vus sur la scène du Quai Branly. Ils cultivent un style de danse, le sbuja, hyper travaillé et sophistiqué, où ils excellent. Un style que le non connaisseur aura tendance à relier à un langage mondialisé du hip hop ; propice à l'affichage des codes de comportement viril. Explosif et transpirant.

Or au Quai Branly, on voit soudain les Kids de Soweto répéter à l'infini le fameux grand mouvement de bras pour se taper sur l'épaule, mais le retirer, et remettre ça. Et encore et encore.  De quoi produire comme un geyser, une gerbe, un bouquet de gestes qui pètent joyeusement dans l'air. Viril, mais débridé. Déluré. Car, insufflant ce genre de détournements, une présence cloche dans le spectacle des Kids de Soweto : une femme, de beaucoup leur aînée, passablement stricte et réservée, gainée dans une tenue de latex ultra-contemporaine, paraissant extra-terrestre débarquée au pays des Nike et du baggy.

Quand les kids s'époumonent, quand leurs interjections sont amplifiées par des micros, Mamela Niamza – c'est la dame – parle presque inaudible. Mais assez clairement pour perturber gravement, voire suspendre, les gesticulations savantes de ses compagnons de scène. Mamela Niamza est une danseuse contemporaine, instruite de l'art-performance, issue de l'époque de l'apartheid, féministe active. Chez elle, un certain travail de corps supplée à bien des discours.

Mamela Nyamza @MQB Cyril Zannettacci

Veut-on une autre figure hors du commun, émaillant cette rencontre : voici que la danseuse experte est transportée, jambes en grand écart impeccablement horizontales, passant de main en main, de jeune mec en jeune mec, eux disposés frontalement en chaîne, se refourguant l'encombrant colis vivant, qui finit par retrouver une verticale extrême, cuisse collée contre l'oreille, incongrue, une fois parvenue à bon port au terme de ce trajet à bouts de bras.

Que ne se souvient-on, à cet instant, de la façon dont le ballet romantique réduisit les hommes à n'être plus que des porteurs de femmes, dans leur splendeur ? Et qu'en cela réside l'une des sources de la mise en doute de la virilité du danseur dans le mental occidental des deux siècles passés.

On perçoit quantité d'allusions malicieuses de ce type, dans ce spectacle apparemment sans titre. Rien de plus que Mamela Niamza et les Kids de Soweto. Autrement dit : cette seule mise en coprésence de ces deux forces artistiques distinctes, et l'unique sujet et contenu de la pièce. Voilà qui est dit. Dès lors, il faut regarder celle-ci non pour ce qu'elle raconte, mais pour ce qui s'y vit, à l'intérieur, de relation effective entre performers la vivant a présent ; entre Mamela Niamza et les kids de Soweto.

Vu ainsi, ce spectacle devient celui de l'impossibilité de cette rencontre même, et donne à voir la situation de l'échec à produire un spectacle comme on pourrait l'attendre. Mise en spectacle de la situation réelle de l'impossibilité de faire spectacle, cette pièce devient proprement loufoque dans sa douce façon de rater la rencontre. Et de rater tout court. Plus les garçons en rajoutent dans leur fabuleuse virtuosité, tant le public marche à tous leurs tours en tapant dans ses mains, moins probable paraît l'impassible présence féminine à leurs côtés. Et plus s'effondre, de l'intérieur, le modèle viril qui s'épuise à se surafficher.
Accessoirement se dérègle aussi l'attente, passablement post-coloniale, qui voudrait qu'on aille voir, en provenance d'Afrique du Sud, de furieux indigènes urbains noirs, domestiqués à la hâte, par les vertus d'une production d'actualité, par une artiste contemporaine hybridée. Il est heureux qu'un ratage magnifique sanctionne pareil projet, et pousse le regard spectateur au comble de ses contradictions.
Gérard Mayen
En tournée
Mamela Nyamza et les Kids de Soweto. Musée du Quai Branly,  Jusqu'au 11 octobre, à 20 heures. Tél. : 01-56-61-70-00.
le 16 /11 à Toulouse, CDC
le 18 /11 à Lyon, Maison de La Danse
le 19/11 à Chalon-sur-Saône, Festival Instances, L'Espace des Arts
les 27 et 28/11 à Mulhouse, La Filature Scène Nationale

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