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"Les Illusions perdues" du Bolchoï

Disons-le tout net, Les Illusions perdues n’est pas le meilleur ballet qui soit. Il faut bien avouer qu’adapter Balzac pour le ballet est un pari un peu fou tant il est difficile d’imaginer que les méandres de la pensée complexe de l’auteur et de la psychologie des personnages puisse se résumer dans une intrigue chorégraphique. Ce qu’avait parfaitement résumé George Balanchine : « Dans le ballet il est impossible de raconter une histoire compliquée ... on ne peut pas utiliser des mots, on ne peut pas danser les synonymes. » Mais de plus, l’idée typiquement russe d’aller puiser dans le fonds littéraire français est  plutôt hasardeuse. Si les contes de Perrault chers à Marius Petipa sont facilement exploitables, on reste plus dubitatifs sur une adaptation de Flaubert (Salambô, 1910 d’Alexandre Gorski), de George Sand (Fadetta, 1934), de Stendhal (Vanina Vanini, 1960, Kassatkina-Vassiliev) et de ces Illusions perdues dont la première adaptation date de 1936 (choreg. Zakharov, mus. Asafiev). Mais sans doute est-il plus facile d’adapter une nouvelle qu’un roman de 700 pages !

 

 

 

Mais le roman ne sert que de prétexte à une adaptation plutôt surprenante Lucien de Rubempré est devenu un compositeur qui rencontre le succès en créant La Sylphide (rien que ça !) et tombe amoureux de deux étoiles de l’Opéra de Paris, dont l’une incarnerait l’éthérée Marie Taglioni et l’autre la flamboyante Fanny Elssler, autrement nommées Coralie et Florine pour suivre, malgré tout, l’intrigue balzacienne. Ce livret, que l’on doit à Vladimir Dmitriev, donne lieu à une sorte de ballet dans le ballet, bourrée d’emprunts divers et variés, tarabiscoté à souhait, ne pouvait engendrer qu’une chorégraphie plus alambiquée encore, on ne peut plus narrative avec de la pantomime à foison, bavarde, outrancière que l’acteur Guillaume Gallienne, appelé à la rescousse par Alexeï Ratmansky pour la dramaturgie, ne parviendra apparemment pas à endiguer.

 

 

 

Cependant, le pire est certainement la musique du compositeur russe Leonid Desyatnikov. Dans le genre lyrique de la guimauve moderne, on ne pouvait sans doute faire mieux. Boursouflée de timbres et de styles de toutes sortes, elle rend inaudible une ligne musicale quelconque tant l’oreille se perd dans une espèce de soupe indigeste. Le plus drôle étant la scène où la musique censée devenir parodique (Lucien avilit son talent dans la composition médiocre de La Fille du bandit que lui commande le personnage de Camusot pour le ridiculiser)  ne présente aucune différence de qualité avec ce qui précède ! Les décors et costumes de Jérôme Kaplan tirent leur épingle du jeu, tout en restant bien conventionnels. Mais le manque de point de vue qui ressort de cette version de Ratmansky n'a pas dû lui faciliter la tâche ni le pousser à des parti-pris innovants.

 

 

 

 

Dans ce naufrage généralisé, ne surnagent que les solistes (car les ensembles semblent avoir des difficultés dans la précision des mouvements et surtout dans des portés souvent mal accordés). On a particulièrement apprécié le charme émouvant d’Anastasia Stashkevich (Coralie) et ses bras éloquents et moelleux, la prouesse technique et le tempérament de feu d’Anastasia Meskova (Florine) et ses impeccables fouettés sur une table, et la finesse délicate de Vyacheslav Lopatin (Lucien). Curieusement, une des interprétations les plus convaincantes restera celle d’Anna Antropova qui joue le rôle secondaire de Bérénice, la femme de chambre de Coralie, avec une justesse impressionnante. Comme quoi. Agnès Izrine Opéra de Paris – Palais Garnier du 4 au 10 janvier 2014. Retransmission le 2 février à 16 heures sur Pathé Live en direct du Bolchoï.http://dansercanalhistorique.com/2014/01/14/3190/

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