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Le Sacre de Va Wölfl

Le Pavillon Noir, dirigé par Angelin Preljocaj, présentait Le Sacre du printemps + & Du, pour quelques représentations  (les seules en France) du grand artiste allemand Va Wölfl et de sa compagnie Neuer Tanz.

C’est toujours avec un plaisir sans mélange que l’on retrouve le Neuer Tanz de Va Wölfl pour qui « le spectacle est une forme d’installation ou d’exposition » et pour le spectateur « un saut dans l’inconnu ». Artiste mystérieux à l’heure où chacun expose ses « selfies » et croit que ses 140 signes sur Twitter valent pour chef-d’œuvre, Va Wölfl refuse tous les portraits et les photos de ses spectacles sont plutôt rares, de même que dossiers ou gloses en tout genre. Et c’est tant mieux. Car chacune de ses œuvres est une expérience visuelle et sensorielle unique, même si quelques éléments scénographiques migrent parfois d’un spectacle à l’autre. Comme ces cartons de livres que les danseurs déballent et remballent, comme pour souligner la valeur (ou l’inanité – au choix) du temps, du travail et de la répétition. Répéter. Voilà un mot essentiel à tout metteur en scène ou chorégraphe. Chez Neuer Tanz, des micro-scènes, un mouvement, un mot peuvent se répéter à satiété, jusqu’à ce qu’un non sens émerge ou s’imprime à jamais dans votre mémoire.

Dans ce Sacre du printemps + & Du, qui reprend donc une partie de la scénographie de Das Chrom & Du, on retrouve bien sûr la boîte blanche, signature des œuvres du metteur en scène et plasticien qui va virer, au cours de l’heure et demie que dure le spectacle, en monochromes souvent d’un bleu glacier à vous retrousser la rétine. Rien d’étonnant pour cet artiste qui a étudié la photographie à la à la fameuse Folkwangschule d'Essen et formé à la peinture aussi bien qu’au mouvement par l’immense peintre Oskar Kokoshka.

Que s’y passe-t-il ? Des choses étranges. À cour, des dizaines de platines sont alignées, n’attendant que le geste de celui qui posera leur bras sur un disque du Sacre du printemps, dont les éclats nous parviennent par intermittence. Et puisque l’on parle d’éclats, des trompettes du plus bel argent, sont disposées ça et là, pour que l’un des danseurs-acteurs s’en empare pour faire sonner ou tonitruer littéralement l’instrument en lui embouchant le micro dans le pavillon. Beau rappel historique de ceux qui hurlèrent lors de la création du ballet en prétendant que cette musique n’était qu’une cacophonie.

Oscillant de déferlements de sons et de lumière, de la déflagration à la plus extrême retenue, Le Sacre du printemps + & Du n’est évidemment pas une énième relecture du Sacre, mais plutôt une forme hybride qui mêle arts plastiques et théâtre subversif dans un même mouvement. Une sorte de commentaire imprévu, un voyage vers l’inconnu, ou vers son insu, qui se caractérise par un engagement du corps de l’artiste dans la matière, ou plutôt dans ce bain atmosphérique et lumineux significatif qu’est la marque de fabrique de Va Wölfl. Les platines tréssautent et scratchent. Les danseurs tentent un mouvement ou deux. Enchainent des figures improbables ou se retrouvent en ligne, comme pour un chorus line décalé. Tout cela est frappé, presque cogné, à chaque instant de la présence des onze interprètes qui traversent la scène, comme des individus disparates et pourtant très semblables, dans un chaos très métronomique où chaque geste, chaque coup de trompette, chaque irruption du Sacre est réglé à la seconde près. Et comme d’habitude, on se laisse embarquer dans cette étrange traversée qui nous laisse au bord d’une apocalypse joyeuse.

 

Un aperçu de Das Chrom & Du

Agnès Izrine
 
9 au 11 avril 2014 - Le Pavillon Noir Aix-en-Provence

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