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La Collection permanente Noureev ouvre ses portes au CNCS

Le 19 octobre prochain, le Centre National du costume de scène de Moulins (CNCS) inaugurera un nouvel espace d’exposition permanente consacré à Rudolf Noureev. L’ouverture de cette collection est un événement exceptionnel car il présentera des costumes et des objets qui ont jalonné la vie personnelle et artistique de ce danseur mythique. À cette occasion, nous nous sommes longuement entretenus avec Delphine Pinasa, directrice du CNCS.

Insatiable collectionneur au goût prononcé pour les décors somptueux, Rudolf Noureev avait accumulé de nombreux tableaux, gravures, costumes, textiles meubles et objets. Après sa mort, la Fondation Rudolf Noureev a été chargée de vendre la grande majorité de ce patrimoine à l’exception de quelques centaines de pièces conservées pour constituer une collection en l’honneur de cet immense artiste.

En 2008, la Fondation Rudolf Noureev a fait don de cette collection au CNCS, répondant ainsi à la volonté de ce grand danseur et chorégraphe de la réunir en un même lieu. Le projet, permettant au public de découvrir la carrière du danseur et la vie de l’homme, a été retenu au titre du Plan musées en Régions par le ministère de la Culture et de la Communication.

Afin de célébrer l’esprit de Rudolf Noureev  le CNCS a demandé au scénographe et décorateur Ezio Frigerio – qui travailla souvent au côté de Rudolf Noureev, pour La Bayadère, La Belle au bois dormant, entre autres ballets –  assisté de Guiliano Spinelli, de réaliser la scénographie de ce nouvel espace.

Entretien avec Delphine Pinasa, directrice du CNCS

Vous ouvrez donc en octobre prochain un espace permanent, des salles dédiées à Rudolf Noureev que l’on pourra visiter en toutes saisons…

Nous parlons plus volontiers de La collection Noureev. Il est vrai qu’au niveau de l’architecture, c’est un espace permanent, des « salles Noureev ». Cet espace va mesurer environ 350m2 sur deux tranchées et demie. Elles seront au rez-de-chaussée du CNCS, situées dans une partie du bâtiment qui n’est pas encore ouvert au public. Donc on va agrandir l’espace public avec une première salle qui sera vraiment dédiée à Rudolf Noureev danseur et chorégraphe.  Y seront exposés sa propre collection de costumes de scène, c’est-à-dire ceux qu’il a portés. Ce sera complété par quelques costumes de ses partenaires féminines, comme Ghislaine Thesmar ou Noëlla Pontois, ainsi que par les costumes des ballets qu’il a créés pour l’Opéra de Paris et portés par d’autres danseurs. Cela nous permet d’évoquer à la fois le parcours artistique exceptionnel de Noureev mais aussi ses choix esthétiques et scéniques. Avec quels décorateurs et costumiers il a choisi de travailler, et comment sa conception personnelle de la scénographie s’est traduite sur la scène. Dans cette première salle figurera aussi un espace auditorium avec un film qui présentera Noureev de manière globale à un public qui ne connaît pas forcément sa vie. On pourra donc y voir un documentaire de 30 minutes environ qui balaiera les moments clefs de sa carrière, de ses choix personnels.

Une deuxième grande salle sera dédiée à sa collection personnelle d’objets qui pour la plupart proviennent de son appartement Quai Voltaire. À son décès, il avait chargé la fondation  Fondation Noureev de vendre ses appartements – il en avait cinq ou sept dans le monde entier – et les objets qu’ils contenaient mais aussi d’en garder un certain nombre pour créer cette collection. Que la Fondation a donné au CNCS en 2008.

 Avez-vous imaginé une scénographie particulière pour cette collection ?

Nous allons présenter un peu comme une « period room »[1] son appartement, ou tout de moins une partie, avec un de ses canapés de salon, une banquette, un guéridon, une partie des objets que la Fondation avait gardés pour évoquer son lieu de vie et son esthétique de vie : des gravures, des tableaux, des théières, de l’argenterie. Cela comprendra également un espace qui lui sera consacré en tant que personnalité « people » si je puis dire, car il était tout de même une star, énormément photographiée, très médiatisée. Tous les grands photographes du monde ou presque ont des clichés de lui. Nous présenterons donc quelques costumes personnels de ville. Vous savez qu’à la fin de sa vie il a été chef d’orchestre, nous avons donc aussi son harmonium, sur lequel il jouait. Et bien entendu, nous exposerons ce qui inhérent à Noureev, c’est-à-dire tous ses voyages, à travers sa collection de kimonos, de gravures asiatiques et d’objets achetés au cours de toutes ses tournées. C’était un homme tout le temps dans l’avion.

Film : I am a dancer de Pierre Jourdan, avec Margot Fonteyn

Il était connu pour courir les antiquaires dès qu’il arrivait quelque part…

Oui. Mais ce que cette collection va essayer de mettre en exergue, c’est comment il a collectionné. Ce ne sont pas que des toiles signées par des maîtres de la peinture ou des objets de grande valeur, ce sont le plus souvent des objets qu’il a choisi sur un coup de cœur, parce qu’ils entraient dans son esthétique pour meubler son intérieur. L’appartement du Quai Voltaire était traité de façon théâtrale. On a des échantillons de ses tapisseries murales qui étaient en partie des échantillons de cuir achetés chez des antiquaires, en partie de faux cuirs, réalisés par des gens de théâtre – et c’est ce qui est intéressant et fait le lien avec le CNCS – son appartement était d’une certaine façon, un décor. On a aussi un échantillon de sa salle de bains qui est faite de marbre créé par des décorateurs de théâtre de toutes pièces. Pour les faux cuirs, c’est pareil, ce sont des artisans du décor qui sont venus à son appartement, pour, à partir des faux cuirs, tapisser tout son salon.

Quelles sont, selon vous, les pièces particulièrement remarquables de cette collection ?

Nous avons entre trente et quarante costumes qu’il a portés sur scène. Il était bien connu pour les garder tous. Londres et Covent Garden en ont aussi une collection importante, mais on en trouve un peu dans tous les théâtres du monde, Milan en a, Rome en a, les États-Unis aussi. Pour nous c’est l’occasion d’en voir peut-être ressortir d’autres. Sur cette trentaine et quelques de costumes, certains viennent de la donation de la Fondation Noureev de 2008, d’autres que l’on avait déjà viennent du fonds de l’Opéra de Paris. Certaines pièces sont porteuses de beaucoup d’émotion, comme le pantalon du Corsaire. C’était évidemment symbolique pour lui, ce pantalon qu’il a énormément porté, qui est très reprisé, et qui, en l’état, ne pourrait pas vraiment être présenté sur un mannequin. Nous allons sans doute soit le présenter, soit trouver un support particulier. En fait, nous avons deux pantalons du Corsaire. Celui dont je viens de parler. Très usé. Et un autre qui est quasiment neuf. C’est très intéressant à montrer en parallèle.

Le Corsaire en 1963

Ensuite, il y a des éléments plus personnels. L’un des pourpoints de Giselle, par exemple.
C’est un des spectacles qu’il a beaucoup dansé avec Margot Fonteyn. Pour nous c’est un costume qui a un autre traitement. Plus classique au niveau esthétique. Il ressemble un peu à Robin des bois, avec beaucoup de vert, assez neutre avec une très très grande cape. C’est lui qui a eu l’idée d’arriver sur scène avec cette immense cape, cela fait un énorme volume en mouvement, car il entrait en courant. Évidemment, il la quittait assez rapidement.
Noureev Fonteyn dans Giselle en 1963

1979 avec Lynn Seymour et l'Opéra de Bavière version intégrale

Nous avons également celui de la Bayadère qu’il avait remontée en 1974 à Covent Garden que je trouve très beau. Le costumier qui l’a créé est Martin Kamer que l’on connaît bien ici, et qui a travaillé avec Nicholas Georgiadis. Il a travaillé avec Noureev ces pourpoints blancs qui sont très simples mais sont presque des éclats de lumière, comme en noir et blanc, avec des strass qui accrochent les éclairages.

 

Je pourrais vous en citer beaucoup. Bien sûr, il y a aussi ceux de la Bayadère 1992, son dernier spectacle créé pour l’Opéra de Paris et toujours au répertoire de cette Maison, qui a fait le tour du monde depuis. L’Opéra a déposé chez nous une dizaine de costumes, ceux des étoiles de la première distribution, celle qui a justement été choisie par Noureev et  qui ne sont plus sur scène aujourd’hui : Laurent Hilaire, Elisabeth Platel, Sylvie Guillem et Isabelle Guérin.

Et pour les objets ?

Pour les objets, tout est un peu symbolique. Quand on voit ces photos et ces objets de son appartement, on a l’impression d’y être. Là aussi, la Fondation n’a pas tout gardé puisqu’elle avait pour mission de vendre, principalement pour aider la famille, mais aussi pour soutenir les jeunes danseurs, la recherche médicale ou scientifique… Donc son canapé est assez célèbre, on l’a vu partout, il a un traitement, un revêtement oriental qui va bien dans l’esprit des goûts de Noureev. Les tableaux sont de très belle facture, il y a même un portrait du XVIe siècle magnifique. On a aussi un objet plus anodin : son porte manteau que l’on voit souvent photographié chargé des pourpoints qu’il y accrochait. Beaucoup de gravures, parce que ses murs en étaient remplis. L’ensemble est vraiment très réussi.

Existe-t-il un vrai goût Noureev dans ses costumes, dans ceux de ses productions, une sorte de signature ?

Oui, c’est évident. C’est ce que nous avions essayé de montrer dans notre précédente exposition dédiée à ses costumes de scène (Rudolf Noureev La trame d'une vie 9 mai au 11 novembre 2009) par ce qu’il était très soucieux de son image sur scène et il a beaucoup fait travailler les costumes pour qu’ils soient à son image. Dans les costumes plus anciens – c’est pour ça que le Giselle est intéressant – dans la collection de Covent Garden notamment, plutôt historique, Noureev n’intervenait pas trop. Il était jeune danseur, il portait les costumes que Covent Garden lui donnait et ne maîtrisait pas les choix artistiques. Les productions existaient déjà, il venait en tant qu’interprète. On voit donc des costumes dans le goût de l’époque, plus discrètes. Lui avait un goût orientalisant assez fort, que l’on retrouve dans pas mal de spectacles. Mais malgré tout, quand on les voit tous ensemble, bien sûr, il y a une idée de richesse et d’opulence dans les coloris, dans les décors, mais c’est quand même assez sobre par ailleurs. Je me souviens par exemple du Lac des cygnes, où on montrait dans le catalogue les maquettes qui étaient très élaborées et l’on constatait, en passant aux costumes, que ceux-ci avaient finalement été beaucoup simplifiés.

En ce qui le concerne personnellement, intervenait-il sur la conception du costume ? Demandait-il une « façon » particulière par exemple ?

À titre personnel, il voulait, évidemment, être valorisé. Vous savez qu’à l’image de Nijinski, qui avait refusé de porter ses trousses en Russie, il avait également dédaigné cet accessoire. C’est après lui que les danseurs n’en ont plus porté pour les remplacer par les seuls collants et pourpoints. Noureev avait beaucoup raccourci ses pourpoints pour dégager ses jambes. Ils étaient par ailleurs assez décolletés et les manches étaient montées très hautes. Non seulement pour l’aisance des bras, mais aussi c’était son style.  Il avait également fait mettre des pinces en biais afin qu’il soit très moulé dans ses costumes. Il avait un tour de taille extraordinairement fin pour un homme, 72 cm si ma mémoire est bonne, et une musculature des épaules très développée. Quand il a pu être le maître des choix artistiques, il a travaillé avec des décorateurs et des costumiers. Principalement, Nicholas Georgiadis et Ezio Frigerio avec lesquels il a conçu ses grands ballets classiques.

À son arrivée à l’Opéra de Paris, il a beaucoup changé les tutus. Anglicisés peut-être ?

Je pense que – comme toujours les choses n’arrivent pas seules– ce n’est pas pour minimiser son intervention, c’est Martin Kamer qui me l’a raconté, au départ, il travaillait avec Georgiadis. Noureev avait dit : «  Je n’aime pas ces tutus très courts ». C’était une sorte de mode. Les tutus français étaient avec cerclette et dégageaient beaucoup la jambe. Ils ont travaillé ensemble pour retrouver des tutus un peu plus plongeants. En fait Martin Kamer m’a dit qu’ils s’étaient inspirés des tutus de La Pavlova. On ne peut pas dire que ce soit très anglais, mais voilà ces tutus, un peu plus plongeants, avec un peu plus de volants, qui ont un mouvement très souple, un peu en « cloche » et qui dégageaient tout de même les jambes sans monter jusqu’à la taille des danseuses.

Après l’ornementation du dessus est très raffinée. Les flocons de neige de Casse-Noisette par exemple, forment un ensemble magnifique. Le Lac des cygnes a une esthétique soignée, élaborée, tout en finesse.

Les "flocons" de Casse-noisette, solistes : Isabelle Ciaravola et Stéphanie Romberg

Nous avions, avec Martine Kahane, réalisé il y a longtemps, une exposition sur le tutu. Nous avions demandé à plusieurs danseuses quel était leur tutu préféré. On va peut-être développer à l’avenir cet aspect des choses, car la collection Noureev est une exposition permanente et il va falloir la renouveler régulièrement, même si nous ne pouvons pas tout traiter la première année. Mais disons que l’on va mettre parfois l’accent sur Frigerio, parfois sur Geogiadis, peut-être même mettre en place une petite histoire du costume. Tout le monde ne connaît pas l’histoire du pourpoint ou du collant, de la chaussure. Donc ce sont des biais que l’on va pouvoir exploiter pour évoquer cette personnalité.
Avons-nous fait le tour de cette collection ?
Je vous ai parlé de ces deux grandes salles, mais il en reste une autre, d’une bonne travée et demie dans laquelle on voudrait évoquer la vie de cette star mythique avec des éléments biographiques. On ne va pas réécrire son histoire, ce ne sont pas les biographies qui manquent ! Mais pour le grand public qui n’est pas forcément féru d’histoire de la danse, il faut mettre en place des éléments pour qu’il fasse le lien avec ce personnage qui a complétement renouvelé le ballet, réveillé certaines compagnies. On voudrait évoquer toutes les scènes qu’il a parcourues, où il a pu danser, voyager, travailler, et qui, grâce à ce lieu, aura encore une vie.

Propos recueillis par Agnès Izrine

 

Dernière minute : Le CNCS de Moulins nous signale avoir lancé un projet de financement participatif sur MyMajorCompany destiné à réunir les fonds nécessaire à la restauration d'un des plus beaux pourpoints de Rudolf Noureev, porté en 1964 pour le rôle du Prince Siegfried dans Le Lac des cygnes. En effet, la restauration de tels costumes est très onéreuse, et, en cette période de crise, les fonds publics ne sont pas extensibles... En tout cas, c'est un beau projet que chacun peut soutenir un peu, beaucoup, passionément....

 http://www.mymajorcompany.com/projects/ouverture-de-la-collection-noureev

 

Pour continuer avec Rudolf Noureev, consultez notre galerie vidéo "spécial Noureev".http://dansercanalhistorique.com/2013/08/29/special-noureev/

[1] Ce sont des salles qui restituent l’atmosphère d’une époque dans un lieu donné. Elles sont appelées des «period rooms» dans les pays anglophones.  Mais cette expression anglaise s’est imposée partout en Europe pour devenir le terme consacré utilisé par les spécialistes des musées.

 

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