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Interview Diana Vishneva #3 : La ballerine face aux institutions

Danser Canal Historique: Ce qui agite le monde de la danse en Russie aujourd’hui est le changement de direction à l’Académie Vaganova, votre ancienne école de danse à Saint-Petersbourg. Vous aviez sévèrement critiqué ce changement. Le limogeage de la direction, Vera Dorofeeva et Altynai Asylmuratova, et la nomination de Nikolaï Tsiskaridze comme nouveau directeur semble en plus être directement lié à l’attentat à l’acide contre Sergeï Filin. Certains propos de Tsiskaridze au sujet de la souffrance encourue par Filine ont été jugés inappropriés et le Bolchoï s’était séparé de lui en juin.  Et soudain, on apprend qu’un nouvel organisme vient d’être créé, une commission nationale pour la formation en danse classique et la vie chorégraphique, présidé par Boris Akimov, directeur de l’académie du Bolchoï. Le vice-président n’est autre que Tsiskaridze qui aurait déclaré vouloir introduire une formation unique dans toutes les écoles de ballet en Russie.

Diana Vishneva: Une telle mesure détruirait une tradition de plusieurs siècles qui a produit des styles variés. N’importe qui peut voir que les styles enseignés dans les deux académies ne sont pas les mêmes. Quand on nivèle tout, on perd en qualité. Aujourd’hui déjà, il est difficile de trouver de bonnes écoles de ballet. A travers mes anciens professeurs dont certains continuent d’enseigner, je reste en contacts avec l’Académie Vaganova. Et je ne suis pas opposée à l’idée que certaines choses y pourraient évoluer, mais le moment et la méthode choisis sont inadaptés. Tsiskaridze n’y est pas à sa place. Deux jours avant sa nomination, le ministre de la culture m’a dit : « Ne vous faites pas de soucis ». Et puis c’est arrivé. Pour les politiciens, il n’y a pas de problème. Vu de l’extérieur, tout se présentera comme avant. Aucun d’entre eux ne va s’intéresser à l’histoire de l’Académie Vaganova ou encore observer les cours.

Et vous-même, seriez-vous prête à enseigner le style Vaganova au plus haut niveau ?
Moi, seule, que puis-je bien faire pour changer les choses? Il me faudrait du soutien politique. Si quelqu’un pense avoir besoin de moi et prend contact avec moi, je vais considérer sa proposition. Je veux simplement faire mon travail de la même manière dont je construis ma vie, à savoir de façon honnête.

Avez-vous été surprise par la violence à l’encontre de Sergeï Filine au Bolchoï?
Il y a toujours eu des tensions au sein de la compagnie. Nous sommes simplement entrés dans une période où elles éclatent publiquement, en basculant dans la criminalité. C’était inévitable. Ce qui se passe dans une compagnie de danse est toujours le reflet de l’état de la société dans son ensemble et de ses tensions. Actuellement il est difficile pour tout le monde de comprendre ce que la nouvelle Russie représente vraiment. Ce n’était pas toujours comme ça. En 2008, quand nous avons commencé les pourparlers pour ma première invitation comme soliste au Bolchoï, à l’époque dirigé par Alexeï Ratmansky, un groupe de danseuses a essayé d’empêcher mon engagement. Ou bien, souvenez-vous de la grève des danseurs en 1995 qui protestaient contre les changements qui ont forcé Yuri Grigorovitch à démissionner. Mais à l’époque les danseurs se sont adressés aux spectateurs, sans violence. Il y a d’autres manières dont les tensions se manifestent. La claque, par exemple. Ils peuvent parfois casser une représentation parce qu’ils applaudissent au mauvais moment. Il peut arriver qu’à un moment silencieux, quelqu’un fasse tomber son trousseau de clés pour perturber les interprètes. Et beaucoup vont toujours au Bolchoï pour être vus, sans même savoir ce qui est à l’affiche, ballet ou opéra. Quand on approuve la danse contemporaine, on court encore le risque d’être considéré comme un dépravé.

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La culture est-elle en train d’être malmenée en Russie?
Il est vrai que les cercles qui détiennent le pouvoir sont très conservateurs et semblent toujours vivre dans le passé. L’inertie est forte et les esprits sont étroits. Mais n’oublions pas que l’état continue de financer orchestres, opéras, théâtres etc. et même de construire de nouveaux théâtres et opéras à travers le pays, jusqu’à Vladivostok. Certes, le gouvernement russe ne donne peut-être pas autant d’argent que ceux de l’Europe de l’Ouest, et il est impressionnant d’apprendre qu’il existe dix-neuf CCN en France, mais Moscou aide toujours beaucoup les arts. Faites donc la comparaison avec les États-Unis où il n’y a même pas un ministère de la culture et tout est financé par les fondations privées!

Propos recueillis par Thomas Hahn

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