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Festival Hors-Série : Une 6e édition très internationale

Un premier volet avec des Flamands authentiques, caustiques et sans complaisance qui font feu de tout bois pour étouffer les incendies de l’enfance : Pieter et Jakob Ampe jouent de ce qui les sépare, mais les unit avant tout, dans une introspection explosive. Et un second volet qui met le focus sur le Portugal, avec des performances qui interrogent la situation actuelle du pays, dans des métaphores autour de l’empêchement.

Frères flamands en flagrant délire

Des boîtes et des hommes! Deux frères, autant complices que rivaux, et champions de l’autodérision. Le premier, Pieter, est l’un des piliers de Rosas. Mais son frère Jakob, musicien et professeur de voix, n’a pas raté sa carrière non plus. Pas de jalousie entre les deux, ce qui crée une base saine pour la réconciliation. Et elle devient, non seulement possible mais logique, « Pete & Jake’s great reconciliation attempt for the disputes from the past ».

Ni l’un, ni l’autre tente de se tirer la couverture, ni de se prendre au sérieux. Chacun s’auto-caricature et va si loin dans sa vérité que chaque action, aussi farfelu soit-elle, sonne juste et inévitable. Si les rythmes sont parfaits à tout instant, à chaque mouvement, à chaque respiration, est-ce grâce à l’aisance musicale de Jake ou à l’expérience de la scène de Pete ?

Des lutins et leurs barbes, et leurs corps aussi qui rentrent dans les cadres en bois, comme dans des cubes inachevés, pour les épouser telle une seconde peau, pour en faire un agrès de cirque et une scénographie mobile, en évolution permanente. Un jouet, en somme.

Leur esprit flamand est ouvert envers tout, sur une passerelle vers l’univers de Zimmerman De Perrot grâce au bois et à la manipulation, la mobilité des éléments scénographiques comme s’ils étaient un troisième acteur et surtout, le côté burlesque. Une pensée pour Josef Nadj, avec toutes ces boîtes qui font office de têtes, en toute absurdité. Et puis, le clown en tant que tel. Ni Pete ni Jake n’ont fait d’école de clown. Ou bien si, car la vie en est une si on la prend du bon côté.

Les deux énergumènes, comme sortis d’un conte de fées, plongent dans la jeunesse de leurs rêves et vont droit vers l’essentiel de l’enfance : le sérieux! Chaque plaisanterie burlesque cache un fond dramatique. L’authenticité de leurs chamailleries confère à la pièce cette profondeur, cette dualité douce-amère et tragi-comique qui est l’apanage des meilleurs clowns ou acteurs burlesques. Et puis, c’est Jakob le musicien qui monte dans et sur la tour faites de cubes empilées, alors que Pieter le danseur tient dans des duos de chant décalés, drôles ou tout simplement merveilleux.
Cette façon presque aérienne d’aborder les abîmes des relations et des souffrances refoulées est un petit chef-d’œuvre de maturité, d’humanité et d’humour. Pieter Ampe surpasse encore son premier duo, créé avec Guilherme Garrido,  Still standing you.

Déchirements croates
Mais le festival Hors-Série au Théâtre de la Bastille s’est ouvert avec deux créations. L’autre est le solo Love will tear us apart avec le Croate Luka Svadja, dans la conception chorégraphique et dramaturgique de Saša Božić. Là aussi, il s’agit de relations humaines, là aussi on revient sur les traces psychiques du passé, par amours et séparations, à travers cinq chansons pop ou rock qui traitent de l’amour. Et les méandres de la danse nous font plonger dans celles du cœur et du rapport au monde. Au passage, les adresses au public qui ponctuent la pièce et créent les transitions animent aussi la relation entre les spectateurs et l’interprète. Love will tear us apart, dont le titre est bien sûr celui du « classique » de Joy Division, n’est pas sans rappeler la série de solos Les garçons sauvages de Camille Ollagnier. De plus en plus, l’identité masculine devient un sujet de danse par excellence, en duo ou en solo.

Matériaux portugais
La seconde partie de Hors-Série est consacrée au Portugal. Le collectif Materiais Diversos propose deux créations très récentes qui semblent évoquer, en sous-texte, les difficultés actuelles de la vie artistique du pays. Dans  O que fica do que passa, Teresa Silva interprète un petit traité de l’empêchement de bouger, de tenir debout, de parler ou de hurler, dans des images drolatiques et saisissantes, parfois mystérieuses.

On les interprète volontiers à travers le trio suivant  Out of Any Present de Sofia Diaz et Vitor Roriz parce que là aussi il s’agit du rapport entre état intérieur et forces extérieures. Sur un écran vertical, l’artiste performer Filipe Pereira fait défiler ses dessins et montages dont certains font référence à la confusion, la désorientation et aux conflits sociaux. Beau travail vocal également, qui porte sur des sortes de mantras évoquant l’envie de sortir et de partir ainsi que la peur de disparaître, avant que le trio ne plonge dans un état animal. Materiais Diversos croise une réflexion profonde sur l’état de l’individu dans un champ de forces hostile et sa transposition gestuelle et scénique, à travers un nouvel arte povera très pointu, le tout dans un équilibre aussi raffiné que fragile entre ambiances angoissantes, humoristiques et grotesques.

Thomas Hahn
Hors-Série N°6 Jusqu’au 9 avril 2014
www.theatre-bastille.com

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