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Entretien Kader Belarbi

Première partie : Les Mirages

Le lendemain de la première de Les Mirages/Les Forains, Kader Belarbi a bien voulu donner les clés de ce projet et s’expliquer sur sa démarche pour le Ballet du Capitole. Nous publions ici une première partie consacrée à ces deux pièces qui viennent d’entrer au répertoire de la compagnie toulousaine.

Danser Canal Historique : Il est étonnant de voir comment un ballet comme Les Mirages, très ancré en son époque, peut traverser le temps et nous atteindre aujourd'hui, alors que le monde dans lequel nous vivons n'a plus rien à voir avec celui d'après-guerre. Et pourtant le spectateur se trouve face à des êtres qui font partie de notre monde actuel et l'empathie fonctionne.

Kader Belarbi : Pour bien connaître ce ballet, je sais qu'il peut être une vitrine kitsch. C'est pourquoi j'ai rappelé Claude Bessy, Monique Loudières et d’autres en leur disant que si on le remet en scène, il faut être fidèle à l'original et en même temps permettre aux danseurs d'être sur le plateau d'une manière qui corresponde à notre époque, au lieu de repartir dans un style formel, ce qui n'offrirait que la vision, sans l'incarnation. On est dans un ballet narratif, où le paraître ne marche pas. Seul être fonctionne. Si les danseurs ne sont pas vivants et présents, s'ils ne font que de la gymnastique formelle dans le style Lifar ou Petit, ça ne passera pas. Au résultat nous avons peut-être simplifié un peu, mais au profit d'une présence plus naturelle, plus accessible et moins formalisée.

Kader Belarbi : Pour bien connaître ce ballet, je sais qu'il peut être une vitrine kitsch. C'est pourquoi j'ai rappelé Claude Bessy, Monique Loudières et d’autres en leur disant que si on le remet en scène, il faut être fidèle à l'original et en même temps permettre aux danseurs d'être sur le plateau d'une manière qui corresponde à notre époque, au lieu de repartir dans un style formel, ce qui n'offrirait que la vision, sans l'incarnation. On est dans un ballet narratif, où le paraître ne marche pas. Seul être fonctionne. Si les danseurs ne sont pas vivants et présents, s'ils ne font que de la gymnastique formelle dans le style Lifar ou Petit, ça ne passera pas. Au résultat nous avons peut-être simplifié un peu, mais au profit d'une présence plus naturelle, plus accessible et moins formalisée.

DCH : Vous connaissez Les Mirages pour l’avoir dansé vous-même.

Kader Belarbi : J’ai beaucoup dansé le personnage de l’Homme, la première fois avec Noëlla Pontois. Monique Loudières a beaucoup dansé l’Ombre, et sa présence a été essentielle pour nous. Elle était une Ombre de grande qualité, avec beaucoup de naturel et cela nous a permis de faire un travail de fond, autant sur l’exécution que sur le personnage. Claude Bessy connaît parfaitement la pièce pour l’avoir travaillée avec Lifar et avoir interprété le personnage de la Femme, mais jamais l’Ombre. Il y avait aussi Francis Bourgeois, maître de ballet à l’Opéra de Paris qui a beaucoup remonté la pièce. Je lui ai demandé de reconditionner le corps de ballet. À l’Opéra de Paris la pièce est donnée avec un corps de ballet de vingt-quatre filles. Chez nous, il y en a douze et il fallait arriver à redonner une vérité à l’ensemble. Mais nous n’en sommes pas malheureux, au contraire. Nous nous disions bien, avec Claude Bessy par exemple, qu’un corps de ballet de vingt-quatre ferait décorum, alors qu’avec douze, les espaces se créent naturellement.

DCH : Quant à Les Forains, le synopsis d'origine, publié dans le programme, mentionne une séquence en ombres chinoises qu'on ne trouve pas dans votre version.

Kader Belarbi : Nous avons travaillé sur la version de Roland Petit qui a remonté la pièce pour le Ballet national de Marseille et qui à mon avis avait lui-même laissé tomber cette partie. Mais chez Sauguet aussi il existe deux versions, une symphonique, jouée par l'Orchestre du Capitole, et une autre, avec beaucoup moins d'instruments. Et en fait il préférait cette dernière, plus réaliste, plus âpre, plus proche des saltimbanques avec leur côté dérisoire, et avec moins d'emphase et de lyrisme. Dans cette version musicale, on peut même donner Les Forains sur la Place du Capitole ou ailleurs dans la rue, ce qui était par ailleurs le souhait de Roland Petit.

DCH : Un ballet pour la rue?

Kader Belarbi : Ca nous ramène au contexte de cette période de l'histoire. Ils ont fait la pièce avec les moyens du bord, des costumes achetés aux puces. Et les spectateurs qu'on voit en scène, qui assistent aux numéros des saltimbanques, étaient joués par les amis, les voisins, ceux qui passaient dans la rue. Mais parmi eux il y avait par exemple Jean Cocteau. Et je crois que si ce ballet tient encore, c'est grâce à cette vérité, au-delà de son charme et de sa poésie. Et c'est là que je reviens à cette exigence qui est de ne pas faire semblant en dansant. Il faut retrouver cette émotion d'être, au lieu de paraître. Quant à Les Mirages, qui est plutôt greco-antique et académique de source, c'est pareil. On ne peut pas arriver en scène en étant planté comme un arbre décoratif.

DCH : Pourquoi mettez-vous Les Mirages avant Les Forains, alors que l'ambiance nocturne des Forains trouverait un prolongement naturel dans Les Mirages?

Kader Belarbi : Je me suis beaucoup posé la question. Je préfère terminer sur Les Forains parce que c'est peut-être plus proche de nous, plus actuel, parce que j'aimais beaucoup l'idée de l'échappée. Nous sommes les forains, et c'est ce que j'ai voulu dire, au fond. Nous ne faisons que passer... comme avec une charrette qui arrive sur une place, et repart.

Pour Les Mirages, il y a là par exemple cette clé censée ouvrir la porte des songes. C’est du kitsch, et j’en ai parlé à Claude Bessy, mais en même temps je ne peux pas devenir chorégraphe et changer le geste. J’ai donc mis la clé en avant-scène, devant l'orchestre, pour signifier qu'elle nous ouvre les portes du théâtre. Il y a des choses auxquelles je ne peux pas toucher, mais je les traite de façon à ce que chacun puisse y mettre ce qu'il veut. Et si j'avais mis Les Forains en premier il y aurait eu un décalage par rapport à cet état d'être chez Petit, qui pour moi vient après Lifar. Et j'ai demandé un entr’acte plus long pour qu'il y ait une vraie coupure.

DCH : J'aurais dû être choqué quand dans Les Mirages, l'incroyable Julie Charlet dans le rôle de l'Ombre, salue après son solo, comme au temps de Lifar. Mais tout arrive avec naturel et simplicité, comme un acte authentique qui n'est pas seulement une citation, mais qui nous fait comprendre, émotionnellement, une époque lointaine.

Kader Belarbi : Voilà encore une histoire d'identité. Précisément, cette variation fait partie de l’histoire de la danse, mais elle n'est jamais sortie de l'Opéra de Paris. Désormais nous sommes également propriétaires des décors et des costumes, en accord avec la Fondation Lifar. Ce solo fait partie de tous les concours de l'Opéra de Paris et il y est beaucoup choisi. Il est complet sur la technique demandée: le port de bras, l'entrechat six, la pirouette, l'arabesque, la demi-pointe-talon, la vitesse, l'endurance, car elle est très longue, et au-delà de tout ça, il y a le personnage de l'Ombre où, malgré la plénitude, tout doit être en retenue. Et en effet, quand Charlet salue, elle est authentique, elle n'y va pas pour les applaudissements mais elle reste dans l'émotion de son personnage.

DCH : Même l’aspect suranné du palais de Les Mirages ne brouille pas la perception, car les danseurs évoluent dans une énergie commune qui met l’humain en premier plan, avant le décorum.

Kader Belarbi : Dans certains ballets classiques, je préférerais n’avoir aucun décor, mais on ne peut pas toucher à ça. Il y a les Négrillons, ces petits noirs, ça ne veut plus dire la même chose aujourd’hui qu’à l’époque, mais il faut faire avec. Par contre, le travail avec tous les anciens interprètes et maîtres de ballet a donné un vrai sens, ce qui souligne l’importance de la chaîne de transmission.

Propos recueillis par Thomas Hahn

Lire aussi notre critique : http://dansercanalhistorique.com/2014/10/29/serge-lifar-roland-petit-au-ballet-du-capitole/

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