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Entretien : Dominique Hervieu

La directrice de la Biennale de la danse de Lyon, et de la Maison de la Danse, revient pour nous sur cette 16e édition qui est également la seconde qu'elle signe de sa main et que l'on pourra découvrir dès le 10 septembre prochain.

Danser canal historique : Vous réaffirmez dans votre édito que cette Biennale, comme la précédente, sera populaire et expérimentale, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Dominique Hervieu : La Biennale a toujours eu dans son ADN une forte connotation populaire et je ne me situe pas dans une rupture par rapport à son passé porté par Guy Darmet. Je suis une réformatrice plus qu’une révolutionnaire et je préfère être pédagogue plutôt qu’asséner une vérité. Mais, l’important pour moi, était de resserrer les liens entre ces deux structures dédiées à la danse que sont La Biennale et la Maison de la Danse. Il me semblait capital que chacune de ces entités puisse prendre leur part dans les missions de développement des publics et d’ouverture qui nous incombent. J’ai donc très légèrement modifié l’équilibre de la programmation dans cette optique, afin d’accueillir d’une part des œuvres fédératrices, qui sont une porte d’entrée destinée à tous, et, à partir de cet accès immédiat, populaire, développer d’autre part une programmation de découverte, accessible. La Maison de la Danse continuant par ailleurs, et grâce à ce souffle d’adhésion qu’impulse la Biennale, à proposer toute l’année des spectacles plus exigeants ou qui demandent plus de références. Je pense qu’aujourd’hui, on ne peut créer des entités culturelles qui soient coupées de la vitalité de la création ou du public.

 

DCH : On a la sensation de retrouver davantage votre signature dans cette Biennale que dans la précédente…

Dominique Hervieu : Il est vrai que cette Biennale me ressemble davantage que la précédente. J’ai eu plus de temps pour aller vers des artistes que j’ai rencontrés à Chaillot, comme William Forsythe, par exemple, j’ai pu également l’ancrer davantage dans un contexte historique. De plus, j’ai senti, lors de la Biennale précédente un véritable attrait pour les nouveautés que j’avais apportées, du coup, cela m’a amenée à prendre plus de risques.

DCH : Comment construisez-vous les thématiques qui s’en dégagent ? Disons, pour cette édition qui va du cirque à la performance, avez-vous d’abord choisi les artistes puis réalisé ensuite que ces deux pôles bornaient vos choix, ou avez-vous commencé par définir ce cadre pour ensuite sélectionner les pièces qui lui correspondait ?
Dominique Hervieu : C’est évidemment la première solution. C’est même une caractéristique de ma démarche. Je construis ma programmation en discutant avec les artistes, en rendant des démarches visibles et en les éditorialisant ensuite. Ce qui m’intéresse avant tout est de rendre presque palpable le vif de la création au spectateur. Au fond, j’adapte le travail que je faisais dans mes créations à la programmation. Je partais des interprètes pour créer ensuite de la cohérence. Je n’aurais pas rencontré Noé Soulier, je n’aurais pas vu que Jan Fabre remontait ses premières pièces, ou qu’Ann Juren revisitait dans Magical la performance féministe des années 70, la Biennale 2014 aurait eu, probablement, un autre visage. Car pour moi, ce sont les œuvres qui éclairent un sujet et non une théorie.

DCH : Vous avez choisi de privilégier la création, « de faire le pari de l’optimisme dans un contexte contraint » selon vos propres mots, cela a-t-il été difficile en cette période de crise ?
Dominique Hervieu : J’ai une grande chance. Premièrement parce que la région Rhône-Alpes est très bien équipée en matière de lieux culturels. Mais aussi parce que les directeurs de ces structures sont à l’affût, très bien informés, et ont également l’envie de suivre les sentiers de la création. Je poursuis avec eux un vrai dialogue sans jamais rien leur imposer. Cette confiance réciproque nous a permis d’imaginer quinze résidences de création qui ont lieu grâce à nos échanges sur le plan artistique. Et, face à la crise, nous nous sommes rapprochés. Nous n’aurions jamais pu avoir une Biennale aussi foisonnante s’ils n’avaient pas été là. Aujourd’hui, les directeurs de théâtre sont dans une dimension généreuse vis-à-vis des artistes et ont laissé de côté les vieilles guerres de chapelle et les batailles de préséances. Ainsi, Dada Masilo pourra être vue dans cinq lieux différents pendant la Biennale et la première du L.A. Dance Project de Benjamin Millepied se tiendra à Saint-Étienne. Nous jouons le jeu d’égal à égal, ce sont des vrais partenaires qui se sont engagés et c’est un gain inestimable. Sans eux, je ne pourrais pas programmer autant et sans moi, ils ne le pourraient pas non plus. C’est un projet que nous menons ensemble.

DCH : L’extension du territoire de la Biennale est très sensible dans cette 16e édition. Cela correspond-il pour vous à un souci d’étendre le domaine de la danse dans d’autres cercles ?

C’est vrai que j’ai la volonté d’étendre le territoire car je crois que la démocratisation culturelle passe aujourd’hui par le local, par le fait d’accueillir des spectacles de qualité et le public dans le Grand Lyon, ou de rayonner dans toute la région, sans oublier des petites villes mais qui ont parfois de superbes équipements culturels. Je pense, par exemple, à Tassin La Demi-lune qui, de ce fait, peut accueillir des spectacles de dimension internationale. Et je n’ai pas seulement envie de faire avec eux un travail autour du Défilé mais aussi de leur montrer les artistes de la Biennale. Saint-Genis Laval a réussi un travail hyperdynamique dans son lieu, grâce également à Numéridanse. Mais je voulais aussi emmener la danse dans des villes qui n’ont pas de théâtre. J’organise par exemple un bal à Tarare. Je fais personnellement une présentation de la Biennale dans toutes les villes du Défilé et chacun des participants bénéficie d’une invitation. Et ils sont 5000 ! Cela crée une sorte de « cercle vertueux » de la danse à vivre et à voir, c’est aussi une forme d’éducation artistique et je suis sûre que cela portera ses fruits auprès d’un public plus large.

DCH : Après les années où la programmation de la Biennale faisait venir la chorégraphie des quatre coins du monde, avec des thèmes volontiers géographiques, on a l’impression, au contraire, que Lyon devient le centre d’une création chorégraphique à exporter…
Dominique Hervieu : Aujourd’hui, si la programmation reste très internationale, on ne peut raisonner autrement que local et expérimental. Incarner, s’approprier, rayonner sont les maîtres mots que je m’emploie à mettre en œuvre dans cette édition. À l’heure d’Internet, il ne faut pas oublier que tout le monde – ou presque – a accès aux grands noms de la danse internationale. Il est devenu facile de voir Bill T. Jones. Que l’on soit à Paris, Lyon ou Échirolles. Cela ne peut donc plus être le seul marqueur de nos événements et j’aime travailler cet aspect des choses, les spectateurs étant également des consommateurs de spectacles hors des théâtres…
 
DCH : Pourriez-vous nous en dire plus au sujet de ces « Fabriques » qui sont aussi la marque de cette Biennale 2014 ?
Dominique Hervieu : Lors de la précédente édition de la Biennale les « petites universités de la danse » menées par Isabelle Launay ont réuni 4800 personnes et, d’une manière générale, toutes les opportunités de réflexion ont été très suivies. C’était inattendu et une vraie bonne surprise. C’est ce qui m’a donné une orientation pour ma seconde édition et m’a poussée à mettre en place les « Fabriques » et notamment la « Fabrique du regard ». C’est un besoin que j’ai également ressenti à la Maison de la Danse et qui répond à ce désir de trouver des clefs pour une meilleure compréhension de l’art chorégraphique. Je m’arrange toujours pour que ce ne soit pas trop cérémonial mais un vrai moment de partage.

La Fabrique des œuvres, ce sont donc les résidences dont nous avons parlé. Pour moi, c’est le moment que je préfère, celui où je peux suivre les répétitions, accompagner les chorégraphes comme ils le souhaitent – et ils sollicitent souvent mon regard – ce qui induit un vrai temps de partage artistique. C’est également au sein de cette« Fabrique » que s’insère le travail auprès du public et les artistes de la danse s’impliquent énormément dans ces présentations fragmentées, éphémères. François Chaignaud et Cecilia Bengolea par exemple, n’hésitent pas, lors de répétitions publiques, à demander aux spectateurs ce qu’ils pensent et sont capables ensuite de tout changer

La Fabrique de l’amateur c’est essentiellement le Défilé. Ils sont 5000 participants. C’est un héritage devenu incontournable. Supprimer le Défilé est aussi impensable pour un lyonnais que se passer du Carnaval à Rio. C’est aussi une économie. Il mobilise 200 artistes, chorégraphes, assistants, plasticiens, musiciens qui, du coup, peuvent assurer la moitié de leurs cachets grâce au Défilé. Il y a les têtes de pont, comme Mourad Merzouki, qui y participe depuis toujours, mais aussi de tout jeunes chorégraphes. Cette année, nous intégrons 400 amateurs de Turin qui rejoignent 400 lyonnais sous la direction artistique du chorégraphe Denis Plassard et auront déjà lancé le premier Défilé de la ville de Turin puisque nous nous associons pour la première fois avec le festival Torinodanza dirigé par Gigi Cristoforetti. Le local et l’international se mêlent donc différemment puisque nous avons souhaité mettre en place un vrai partenariat. Un week-end de création italienne clôturera la Biennale avec deux chorégraphes en résidence : Ambra Senatore et Claudio Stellato. Et nous proposons même des week-end qui mêlent danse, tourisme et gastronomie de part et d’autre de la frontière !

Nous poursuivons bien entendu les cours de danse place des Terreaux, et nous montons pour la première fois un battle des enfants, une compétition chorégraphique en équipe pour les 7/9 ans et les 10/13 ans avec l’aide des Pockemon Crew. Il sera retransmis sur France 3 et Canal Street. Les Red Bull BC One All Stars, champions du monde du un contre un, Riyad Fghani, directeur des Pockemon Crew, Yorgos Loukos directeur du Ballet de l’Opéra de Lyon et moi-même feront partie du jury. D’ailleurs les Red Bull BC One All Stars seront présents aux quatre coins de cette 16e édition de la Biennale.

Enfin, la Fabrique du regard est celle que j’ai amenée. Ce sont des résidences et des conférences de presse ouvertes au public, des échauffements du spectateur, des ateliers de pratique artistique, deux rendez-vous avec Laurent Goumarre, responsable éditorial et de la dramaturgie de cette biennale, qui recevra Jan Fabre et Benjamin Millepied. Et surtout, j’ai voulu ancrer cette édition dans l’histoire lyonnaise. Je suis repartie sur les traces de Frigo et du coup ça a créé une dynamique, puisqu’ils sont invités par la Sucrière, le Musée d’Art Contemporain et l’école des Beaux-Arts pour rendre hommage à un moment où Lyon était à la pointe de l’avant-garde.

DCH : La pédagogie en matière de culture chorégraphique semble une de vos préoccupations majeures, est-ce difficile à mettre en place ?

Dominique Hervieu : Si on ne se préoccupe pas de pédagogie, on va droit dans le mur. Je crois que des moments un peu naïfs, où l’on préconisait de se contenter de faire confiance à ses sensations ont porté tort à la danse. Selon moi, il ne faut jamais occulter la dimension historique ou de réflexion de l’art chorégraphique. D’ailleurs, pourquoi la danse serait-elle le seul art qui ne nécessiterait aucune connaissance ? Je pense que ce n’est pas si compliqué de donner au public des repères. Simplement il ne faut pas avoir peur de la vulgarisation. Mais elle est souvent mal comprise.

Pour cette Biennale, par exemple, j’ai imaginé de petites cartes postales, données aux participants du Défilé, avec de petits messages : qui est Rocio Molina ? qu’est-ce que la performance ? Nous en avons édité 10 000 et c’est un partenariat avec La Poste. De fait, les gens les collectionnent et ont envie, à partir de ces quelques mots, d’en savoir plus.

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