Error message

The file could not be created.

Diana Vishneva, entièrement « On the Edge »

En regardant « Switch » de Jean-Christophe Maillot, on songe à « Afternoon of a Faun » de Jerome Robbins, où une femme entre dans un studio de danse et s’aperçoit de la présence d’un danseur, en train de se reposer. Le pas de deux qui se crée à partir de là est de fait un pas de trois entre leurs corps, leur reflet dans le miroir et leurs fantasmes. « Switch » de Jean-Christophe Maillot fait un pas de plus. Ici, le studio de danse pourrait aussi bien être une pièce à vivre, visiblement habitée par un couple (Bernice Coppieters et Gaëtan Morlotti). Pas de trois, ménage à trois? Peut-être. Ou bien, là aussi, juste du fantasme. Quand Diana Vishneva fait irruption, dans une robe scintillante signée Karl Lagerfeld (excusez du peu, mais « On the Edge » est soutenu par deux propriétaires de clubs de football, à savoir Roman Abramovitch et Dimitri Rybolovlev), elle perturbe le quotidien affectif d’un couple. Les allusions sensuelles sont un brin plus explicites que chez Robbins et la musique de Danny Elfman envoie quelques clins d’œil au tango argentin. Morlotti peut se retrouver soudainement au-dessus de son fantasme. Tout comme chez Robbins, l’idée d’une danse peut justifier un contact physique. Le désir souffle, la passion gronde. La Vishneva donne une véritable femme fatale, peut-être son propre fantasme.

Diana Vishneva, Bernice Cppieters et Gaëtan Morlotti dans "Switch" de Jean-Christophe Maillot @ G.Schiavone

Les pieds telluriques, le buste aérien, elle devient l’incarnation de la danse par la perfection, et le duo monégasque assume seul la réalité d’un corps physique. « Afternoon of a Faun » est une pièce sur les danseurs, et Maillot n’en fait pas moins. Il interroge dans « Switch » le clivage entre une vie dédiée à la danse avec sa solitude assumée et une vie partagée. D’où la possibilité d’une inversion. Et si le couple « normal » était le fantasme de la ballerine glamour? Tiens, elle enlève sa robe, devient danseuse, commence ses exercices et renverse la barre! Elle sait donc prendre les choses en main et peut briser l’image qu’on se fait (qu’elle se fait) d’elle. Voilà et une autre façon de dire la contradiction entre sa timidité et une certaine détermination dans la prise de parole qu’elle dévoile en interview (http://dansercanalhistorique.com/2013/12/26/interview-diana-vishneva-1-l...) , bel encouragement venant de la part d’un chorégraphe qui n’a jamais manqué de volontarisme.

Diana Vishneva Bernice Coppieters et Gaëtan Morlotti dans "Switch" de Jean-Christophe Maillot @ G.Schiavone

Après une pièce sur pointes, vient celle où Vishneva se présente pieds nus. Car Carolyn Carlson cherche ce qu’il y a derrière la façade, derrière les fantasmes. La femme, sans fard et sans paillettes, à l’état brut. Brute comme cette longue table en bois qui lui sert d’appui, et qui freine toutes les tentatives d’envol. Et si la Prima ballerina déclare que ceci est pour elle une véritable révolution (http://dansercanalhistorique.com/2013/12/26/interview-diana-vishneva-2-l...) , on la sent totalement authentique et à fleur de peau. Ici elle n’est pas dans un studio de danse, c’est certain. Elle est « Woman in a room », dans une ambiance rurale, une bassine remplie de citrons posée au fond. Quelque part dans le sud donc, et pourtant elle nous rappelle inexorablement les personnages de femmes chez Mats Ek. Là aussi, la Vishneva réussit sa quadrature du cercle. Cercle de ses pieds qui courent sur place, sans réussir à pousser l’énorme table qui semble attendre une famille ou tous les ouvriers de la ferme. Elle est seule, comme suspendue dans son attente, telle une Pénélope, et elle rêve, parfois d’évasion et de sensualité, de joies à venir ou de joies vécues. Matérielle et angulaire comme Ana Laguna, et en même temps transcendantale et immatérielle comme Kazuo  Ohno. Ici, chaque mouvement traduit sa vérité la plus intime. D’où ces frissons qui redoublent quand elle s’avance, en toute simplicité, pour distribuer à quelques spectateurs... des citrons. Quand elle court sur place, face à la table, ses jambes dessinent un idéal circulaire d’une légèreté sidérante. Sa technique la sert, c’est normal. Mais à la fin elle existe, définitivement, comme personne, au-delà de toute technique. Actrice elle est, actrice d’elle-même. Si elle change de couleur plusieurs fois, son personnage s’affirme vraiment au moment où elle porte une robe bleue(!). Carlson a-t-elle ici trouvé la femme qui lui succède en tant que « Blue Lady » ?

Diana Vishneva dans "Woman in a Room" de Carolyn Carlson@G. Schiavone

Si la fin de « Switch » est une métaphore de la Vishneva, engagée et volontariste qui sait aussi se révolter (http://dansercanalhistorique.com/2013/12/26/interview-diana-vishneva-3-l...)  , Carlson termine sur sa générosité et son désir de sincérité. Mais tous les deux ont su saisir la Vishneva à l’endroit où elle fait face à ses entre-deux: Tiraillée entre Est et Ouest, et donc tout le temps en train de voyager, ce qu’elle dit détester. Navigant entre tradition et modernité, dans sa volonté à surmonter les blocages tout en défendant la tradition. Se perdant parfois entre sa fragilité et la nécessité d’être combative. « On the Edge », de bout en bout.

Thomas Hahn

« On the Edge » a été donné les 18 et 19 décembre 2013 à l’Opéra Garnier de Monte Carlo.
Reprise : Les 27, 29 et 30 mars 2014 au Bolchoï, Moscou.

http://www.vishneva.ru

Catégories: 

Add new comment