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« Booty Looting » ou la guerre des images

Avec Booty Looting, Wim Vandekeybus présente au Théâtre de la Ville une pièce très engagée, complexe et inénarrable. Le Bruxellois met en scène la citation artistique comme acte de pillage et passe de la violence physique à la virulence symbolique.

L’image est le nerf de la guerre, à la télé comme sur le plateau ou dans un studio-photo. L’image, c’est le récit. Le récit, c’est la création. Certes, l’artiste invente. Mais depuis toujours, il se nourrit bien quelque part. Beaucoup de chorégraphes se sont inspirés du style très physique de Vandekeybus, qui a surgi à la fin des années 1980. Dans Booty Looting, créé presque trente ans après sa pièce fondatrice  What the Body does not Remember, il pratique le retour de bâton. C’est lui-même qui va piller chez les icônes de l’art. Pour la première fois, il crée une pièce à partir de références prises dans les œuvres des autres, mais aussi chez lui-même.

 

"Booty Looting" @ Danny Willems

Performance, cinéma, danse… Booty Looting chevauche les images. Images volées, images trompeuses, souvenirs arrangés, références volontairement truquées. Mais tout est annoncé comme tel par l’acteur Jerry Killick qui devient le monsieur loyal de la soirée. Dans le rôle de Joseph Beuys, il rappelle une performance newyorkaise de 1974. L’artiste Fluxus allemand passa plusieurs journées dans une galerie, en compagnie d’un coyote. En répercussion de quoi quatre danseurs-coyotes se ruent ici sur le faux Beuys et lui arrachent ses vêtements. Se vengent-ils de cette usurpation ou d’avoir été instrumentalisés par Beuys pour symboliser l’Amérique ? Au cours de la pièce, Vandekeybus multiplie les références à la mythologie de Big Apple, à travers des images d’un Mobil home et de chevaux. Et pourtant, l’Europe est bien là. « Ceci n’est pas un cheval », voire « nous ne sommes pas des Cow-Boys » semblent nous dire les acteurs, en traversant la scène à califourchon sur des photos de chevaux.

 

 

 

 

À travers Beuys, c’est déjà l’Allemagne qui entre en jeu. La comédienne Birgit Walter persiste et signe, posant comme modèle sur les traces de la danse expressionniste ou dans une évocation de Romy Schneider. Sans oublier cette histoire magnifique d’une actrice berlinoise qui décida de faire du théâtre parce qu’un jour sa mère femme de ménage vit une actrice célèbre se servir de ses propres gestes de nettoyage, sur le plateau du plus prestigieux des théâtres berlinois sous Hitler. Elle se jure donc de venger sa mère (pillée de ses gestes) en inversant les rôles. Mais on ne sait jamais où s’arrête la vérité et où commence l’invention.

Booty Looting (piller le butin), c’est aussi s’emparer de tel ou tel récit pour le transformer à sa guise. Mais contrairement aux média et aux acteurs politiques, le chorégraphe fait la démonstration de sa méthode, en direct : « Ceci n’est pas une image authentique ». Le procédé est triplement brechtien. D’abord par Killick qui s’adresse directement aux spectateurs. Ensuite par le doute qui plane sur la véracité des histoires relatées et des performances reconstituées, autant que par la dérision. Et surtout, parce que tout se déroule dans un studio-photo, sous l’objectif du photographe Danny Willems qui se faufile entre les danseurs et se fait attaquer par ces coyotes déchaînés. Dans d’autres séquences, il se trouve dans le rôle du paparazzo qu’on aimerait bien assassiner. Quand il réussit à arracher aux interprètes des gros plans pour les projeter sur l’écran de fond, ses images révèlent à quel point elles sont trompeuses. Car nous avons vu les acteurs poser, volontairement ou pas, devant une photographie faisant décor. Le making of nous met en garde contre l’habilité de l’industrie iconographique.

 

 

La violence faite danse (celle que l’on attend de Wim un peu trop au premier degré) rebondit telle une autocitation. Tout passage à tabac se fait en montrant que les coups frappent bien le sol au lieu du corps. Rien à craindre pour la victime. Par contre, les images que Willems subtilise aux joutes corporelles sont impressionnantes. Leur côté brut de décoffrage, voire reporteur de guerre, a de quoi rendre jaloux tous les photographes de danse obligés de se tenir sagement au bord du plateau.

Mais nous n’avions encore rien vu. Voilà la tête d’un homme qui passe sous la photocopieuse, avant que Willems ne prenne en photo la photocopie. Le résultat est une tête de « sauveur » sur l’écran de fond qui se fait illico bombarder de balles de tennis, exactement comme le portrait du Christ dans  Sul concetto di volto nel figlio di dio  de Romeo Castellucci. Mieux. La rencontre entre danse, théâtre, photographie et performance, sans oublier le concert incorporé d’Elko Blijweert, rappelle autant le Wooster Group que Pina Bausch.

Et le public dans tout ça, voire celui qui se trouve dans la salle ? Au milieu de la séance, notre monsieur Loyal s’adresse à lui pour l’interroger sur ses raisons d’assister à ce spectacle et la sincérité de son intérêt. Certes, pour le spectateur aguerri c’est loin d’être la première fois qu’il se fait interpelle de la sorte. Mais la petite provocation fait ici écho à l’amusement brechtien et sonne particulièrement juste. Reste qu’à force de vouloir courir tous les champs en même temps, le butin se disperse. Sans quoi il pourrait être plus facile à ramasser.

 

Thomas Hahn

 

Théâtre de la Ville, jusqu’au 25 avril

http://www.theatredelaville-paris.com/spectacle-BootyLooping-640

mise en scène, chorégraphie & scénographie Wim Vandekeybus
assistante artistique & dramaturge Greet Van Poeck
création lumières Davy Deschepper, Francis Gahide, Wim Vandekeybus
création son Antoine Delagoutte
stylisme Isabelle Lhoas assistée par Frédérick Denis
assistant mouvement Máte Mészáros
créé avec & interprété par
Jerry Killick, Birgit Walter, Elena Fokina, Dymitry Szypura, Luke Jessop, Luke Murphy
musique originale live Elko Blijweert
live still-photographie Danny Willems

 

 

 

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