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Bob Wilson accroche Lady Gaga au Louvre !

Du moins, les Américains ne sont pas sectaires. Collectionneur, Wilson accueille œuvres, objets et vedettes vivantes, à volonté. Au Théâtre de la Ville, Baryshnikov et Dafoe. Au Louvre, Lady Gaga, en vidéo. Et on comprend : La scène newyorkaise  est bien plus ouverte que le milieu parisien. Gaga, ce Wilson? Nullement! S’il met en scène la pop-star, c’est que celle-ci maîtrise bien mieux son corps que sa voix. « Une performeuse extraordinaire ».

Allons-y donc. Aile Denon, premier étage, où les tableaux grand format du XIXe sont entre eux. Les groupes de visiteurs passent et il y a là un truc qui les intrigue. Sur un écran plasma, sans cadre doré, accroché sous « Mort d’Elisabeth, Reine d’Angleterre » de Delaroche (1828), l’image ressemble à « La mort de Marat » de Jean-Louis David (1793). Ecran certes, mais aucune pub n’est diffusée (on verra bien ça un jour). Dans le tableau, Marat est une femme. L’audio-guide explique-t-il que l’écran plasma montre une chanteuse américaine connue sous le pseudo de « Lady Gaga », mise en scène par Bob Wilson? C’est l’un des « GAGA Portraits », une série d’art vidéo, exposée dans différents lieux du musée le plus couru du monde. Wilson était bien là pour l’inaugurer, mais pas elle, sans doute en tour de promo pour son nouvel album, sorti au même moment.

Marat en Marylin, c’est Gaga

Le féminin de « Marat » n’étant pas « marâtre », la star de la pop montre un certain penchant pour les victimes d’assassinats. En révolutionnaire abattu dans sa baignoire, elle penche en arrière, plutôt que vers la droite. Grace à cette petite différence avec  l’original (ou plutôt avec la copie conservée au Louvre), son apparence n’évoque ni Marat ni Agamemnon ou autres morts en baignoire, mais plutôt Marylin Monroe, et ce n’est pas la première fois que Gaga se glisse dans la peau de la star hollywoodienne dont beaucoup pensent qu’elle a été assassinée. Et elle lit, en anglais, des passages de Marat/Sade de Peter Weiss. De quoi semer encore plus une salutaire confusion chez les touristes. Rassurez-vous, c’est le seul portrait wilsonien dans lequel on entend sa voix. Dans les autres elle reste muette, mais elle bouge. Salle de la Maquette, presque un lieu de retraite, elle caresse la barbichette de la tête de saint Jean-Baptiste, peinte par Solario en 1507. Tête coupée et présentée dans un plateau de cristal, bien entendu. Et sur l’avant-bras de la chanteuse, on aperçoit le petit tatouage de « ARTPOP », évoquant les matricules d’Auschwitz. Une question de goût…  De fait, l’anagramme de pop-art n’est autre que le titre de son nouvel album, ainsi offert aux yeux curieux du public depuis plusieurs mois.

Gaga ralentie, Gaga accélérée

En marketing elle n’est pas gaga du tout, mais Wilson l’apprécie pour d’autres qualités. On les découvre dans le reenactment du portrait de « Mademoiselle Caroline Rivière » d’Ingres (1806), une vidéo tournée en studio à Londres, dix jours avant le vernissage au Louvre. Tout porte à croire que le format géant est un tableau. Mais à y regarder de près dans le fond un brin flouté, un cygne peut traverser le ciel bleu clair. Des larmes peuvent couler sur le visage, les boucles d’oreille oscillent comme bercées par le vent, le buste vacille imperceptiblement. Mais n’a-t-on pas la même impression devant tout tableau qu’on fixe trop longuement? Tôt ou tard, les corps donnent l’impression de bouger. Ici, un œil se ferme si lentement qu’on songe à une vidéo projetée en ralenti. Et pourtant, selon l’assistant de Wilson, la chanteuse maîtrise son corps au point que l’indication de fermer l’œil lentement lui a inspiré un mouvement si étiré qu’il a fallu accélérer la projection, pour rendre le mouvement perceptible et donner l’impression qu’on voit une vidéo ralentie! Wilson, qui adore brouiller les rapports temporels, n’a pu qu’apprécier. Mademoiselle Rivière, par ailleurs, est décédée quelques mois après la finition du portrait par Ingres. Wilson le savait-il quand il faisait ses choix de tableaux exposés au Louvre à réincarner ou s’est-il juste laissé inspirer par les ambiances, comme il le prétend? L’important, pour lui, est de ne pas savoir pourquoi on fait telle ou telle chose en art, comme il ne cesse de le proclamer.

Gaga suspendue

Et il investit une autre salle au Louvre, laquelle pourrait bien devenir un lieu de pèlerinage pour les amateurs de danse. Il y expose une grande partie de sa collection personnelle, dans une configuration qui évoque sa propre chambre. Son énorme lit au centre, une paire de bottes posées au sol. Face au lit, un autre écran, montrant une femme suspendue dans un cordage, la tête vers le bas. C’est re-la-Lady, et c’est bien vertigineux. Et tout ce qui est installé tout autour, sur les quatre murs, accroché ou posé sur les étagères, n’est pas moins à même de vous donner le vertige. Des centaines d’objets, ou peut-être un millier. Des photos, des objets d’art des traditions du monde, et des œuvres achetés sur le marché de l’art se mélangent avec des objets trouvés dans la rue ou des reliques comme ces chaussons de danse usés par un Noureev ou un Balanchine. Les escarpins de Marlene Dietrich… Chaque chose, chaque personne montrée fait partie de ses influences artistiques. Les portraits photographiques montrent Lucinda Childs, Merce Cunningham, Andy DeGroat, Einstein et tant d’autres. Pour approcher le phénomène Wilson, le Louvre est the place to be, jusqu’au 17 février 2014, en beau prolongement des spectacles programmés dans le cadre du Festival d’automne : « The Old Woman » (avec Baryshnikov/Dafoe) et « Peter Pan » (avec le Berliner Ensemble) au Théâtre de la Ville et « Einstein on the Beach » au Théâtre du Châtelet, en janvier.

Thomas Hahn

Le Louvre invite Robert Wilson - Living Rooms
Exposition, Performances, Archives filmées, Rencontres, Conférences
11 novembre 2013 - 17 février 2014

Lire aussi : http://dansercanalhistorique.com/2013/11/18/robert-wilson-the-old-woman/

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